The Perfume Chronicles

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Le Roi se Danse

1740 - Histoires de Parfums

1740

par Sylvie Jourdet

pour Histoires de Parfums

L’heure vient et elle est proche où se couchera le dernier soleil sur le château de Versailles. Pour l’heure néanmoins brillent encore les ors et les cires du Palais du Roi-Soleil, ses encarts de velours, ses toiles glorieuses, ses allégories mythiques, fantasmagoriques.

 

Pour l’heure se croisent encore le marbre, le vermeil et les jardins d’orangers en fleurs. Sous le regard du Roi dansent les dames de la cour tandis qu’à l’ombre des bosquets et au silence des alcôves s’échangent, interdits, les baisers des favoris.

 

Loin d’être l’évocation du Marquis de Sade et de ses fantasmes macabres où est donnée à goûter le mal pervers de l’homme sous la poudre du poème, 1740 nous évoque plutôt ces crépuscules ardents qui enflamment la galerie des glaces. Il nous évoque les parquets cirés et les chaussures à rubans et les dentelles de fraises. Il nous rappelle le temps révolu du Roi Soleil à l’aube de sa fin, la gloire muette du vainqueur de la Fronde tandis qu’approche l’heure de son destin.

 

1740 c’est l’odeur et sensuelle et mystique d’un Versailles contradictoire. D’un palais d’apparences, d’une cour de miroirs ; d’un peuple de favorites et de courtisans, de ces couloirs parfumés aux fleurs et à l’encens - qui empestent la sueur.

 

1740 c’est le faste suprême d’un roi au faîte de sa grandeur. C’est le règne de la couleur, des soies, du velours. C’est l’heure du Roi. C’est le temps de Lully et de Charpentier, c’est l’or des trompettes baroques, c’est les entrelacs de marbres de la chapelle royale. C’est la visite du Roi de Siam, c’est l’heure des Ottomans, c’est le parterre de l’orangerie qui fleurit sous le soleil. Ce sont les Grandes Eaux qui chantent en plein hiver. C’est le baroque brillant à toutes lumières, sans douleurs, sans honte, écrasant sa pompe au visage blême des jansénistes et réformistes – à toute heure.

 C’est le feu des dragonnades et l’esclaffade des marquis. C’est l’air empourpré de stupre des jardins de tubéreuses où batifolent en riant les marquis et leurs servants.

 

1740 c’est le parfum d’une ère que Sade n’a pas connue. C’est le parfum de l’équivoque, des hommes maquillés et poudrés comme des princesses. Le parfum des jeux de genre, du travestissement de cour. Le parfum qu’auraient pu porter et Ruy Blas et Molière.

 

Éminemment sensuel sur un cœur d’immortel et de davana hypnotique, 1740 est aussi terriblement spirituel. C’est le cœur mis à nu d’une frise de tartuffes, c’est le parfum que l’on sent en entrant dans les appartements des cardinaux d’état. Éminemment sensuel, il l’est en effet aussi spirituel. La rencontre explosive et colorée de deux mondes que tout oppose et où tous s’unissent. Couleurs de miel et de cire d’antiquaire croisent la froideur du ciste et son encens cathédral.

 

Les soutanes hyacinthes et le velours des mailles écarlates de cardinaux luttant entre vice et vertu aux rires de Molière, au mépris de Lully – voilà 1740. Deux fils s’opposent en effet : le riche et doré aux mille reflets, tissé d’immortel et d’exotisme et le sombre allant du patchouli ambré aux terribles profondeurs du bouleau que l’on brûle à courre.

 

1740 est chaud. C’est une bulle intime coincée hors du temps. C’est la plus juste édition de Versailles dans l’idée qu’en eut sans doute son architecte. C’est l’écriture de nouvelles règles, le tracé de nouvelles perspectives n’obéissant point à la nature mais désirant la sublimer, l’exalter en tous sens.

Sensuel, 1740 l’est. L’exaltation vive et fébrile de ces sens qu’on éveille par les gerbes de jasmin, de tubéreuses, de roses, de néroli qui éclosent à la nuit et donnent à sentir aux amants égarés l’odeur vénéneuse de leurs bouquets fanés.

 

Car derrière cette explosion, 1740 fait déjà sentir le spectre de la décadence. Le sourire se crispe, les fards s’écaillent et les ors ternissent au château de Versailles.

 

La pompe royale s’évide et s’épuise et l’on capte dans l’air le rance parfum du déclin. C’est le virage austère d’un Roi en proie au démon de sa mère. C’est l’ombre du destin, c’est le souvenir de la mort qui saisit le Soleil. 1740 se raidit, se froidit, s’affermit. La volubile chaleur gouleyante s’épaissit.

 

Ce sont désormais les orgues qui chantent. C’est l’heure des Ténèbres et du chant du Miserere. C’est la pesanteur du trop long règne d’un roi trop superbe. C’est la bulle qui s’effrite, c’est le rêve qui menace de s’effondrer. Les orgies s’éloignent des alcôves – elles se perdent dans d’autres châteaux. Là où l’ombre était propice au plaisir, on dispose des chandelles, on érige des murs et aux lieux où se rencontraient les humeurs des servants, l’on brûle de l’encens pour purifier les mœurs.

 

Le glaive froid du Roi Soleil s’abat. Les rires se muent en moues de terreur. Voilà Sade qui pointe le bout de son nez.

1740 laisse derrière lui un sillage qui inspire le respect comme la peur. C’est un parfum de pouvoir, de charisme machiavélien qui laisse entendre qu’il peut aimer autant qu’il peut tuer. Il vous fait tourner la tête pour la mieux décoller – il vous embrasse le cou pour le mieux étrangler.

 

1740, c’est le dernier crépuscule sur Versailles. C’est le dernier sursaut de faste, de plaisir et d’amours naïves qui habitera ces lieux. Il hypnotise, il saisit, il ravit, il sévit. Confortablement langoureux, ses évocations mystiques d’encens ne manquent pas de confronter l’âme à ses manques et de l’élever aux autels de marbre blanc du Jour du Jugement.

 

C’est le parfum d’un rêve,

Et du réveil – aussi.


1740 - Histoires de Parfums

EdP 60ml/120ml - 95€/155€

Disponible à l’international. Pour plus d’informations, visitez leur site Web : www.histoiresdeparfums.com