The Perfume Chronicles

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Miss Layla - La Magicienne

Miss Layla - FumFragrances

Notre rencontre avec Miss Layla, la parfumeur de talent derrière FumFragrances s’est passée sous l’heureux et mystique patronage de JRR Tolkien. Femme passionnée au coeur si grand que son sourire, Layla est aussi une artiste plurielle – ce qui se ressent dans son travail. Ce n’est pas le hasard qui fit se croiser nos routes et c’est pourquoi nous avons eu l’immense honneur de pouvoir nous entretenir avec elle pendant près de deux belles heures…

 

Alexandre Helwani Layla, merci pour ton temps. Tu es une parfumeur autodidacte, photographe et chef et nous te connaissons mieux pour ton travail à la tête de FumFragrances. Puis-je te demander d’où vient ce nom ?

 

Miss Layla - L’idée de Fum m’est venue parce que je suis fascinée par l’origine de tout. J’aime connaître les secrets des gens, comment ils sont devenus qui ils sont, comment le parfum en est-il venu à être. Son histoire remonte à l’encens et à la fumée, c’est aussi pourquoi j’ai été attirée par ton travail. J’ai toujours été obsédée par l’encens et par la source de tout. C’est de là que vient le nom de ma marque : perfumum. Quant au logo, je l’ai dessiné moi-même, c’est ce que j’imagine bien être le symbole alchimique de la fumée.

 

AH – Ce n’est pas souvent que l’on rencontre des passionnés d’encens. Cela fait longtemps que tu nourris cette passion ?

ML – Disons que ma mère était très hippie et elle à des origines Amérindiennes donc nous avions toujours de l’encens et des huiles en train de brûler et il n’était pas rare que nous allions dans des huttes de sudation pour honorer les solstices et les équinoxes. On se faufilait sous les tentes, on y brûlait de la sauge sur des braises volcaniques, il y avait ces énormes jarres d’eau mêlée à de l’huile de d’eucalyptus et de menthe poivrée et de tout ce qu’on pouvait imaginer. On était accroupies dans ces huttes, nous étions toutes nues, et on versait l’eau parfumée sur les roches ardentes, ça faisait énormément de vapeur et ça durait pendant des heures et des heures…

 

AH – Est-ce à ce moment que tu t’es rendu compte de la place du parfum dans ta vie ?

 

ML – Non, je ne faisais attention aux odeurs que quand je cuisinais. J’ai appris avec mes parents quand j’étais vraiment jeune. Leur premier conseil était : sois attentive à l’odeur, elle te dira si c’est bon ou pas. J’ai bien compris la nourriture mais pas vraiment le parfum. Ce n’est pas comme s’il avait eu une place prépondérante dans ma vie mais ça s’est plutôt fait progressivement. Une aromathérapie en quelque sorte. Ces parfums m’ont extirpée d’un état que je ne verbalisais pas, ne reconnaissais pas à l’époque mais il suffit d’en parler, de les ressentir, de faire l’expérience nouvelle de ces mémoires pour se rappeler comment elles sentaient. J’ai grandi dans le Montana et les parfums du Montana sont une expérience viscérale : je peux fermer les yeux et imaginer les lilas en fleurs et l’odeur des rivières et celle du chèvrefeuille qui poussait sur les vignes et dont j’arrachais les fleurs pour en goûter le suc. Je me souviens même l’odeur des arbres à coton. Mais je m’en souviens aujourd’hui, à l’époque je n’y prêtais pas du tout attention.

AH – Ce qui nous mène à ma prochaine question : est-ce que tes parfums s’enracinent dans tes souvenirs d’enfance ?

 

ML – Le premier parfum que j’ai sorti est Nerola. C’était la première. J’ai toujours ressenti un lien particulier avec les orangers, les agrumes, la fleur d’oranger. Ils me font me sentir comme sur un petit nuage. Quand on grandit en Californie, on est confrontés à des bosquets d’agrumes partout, j’en ai toujours dans mon jardin. Quand les vents de Santa Ana soufflent, l’air est totalement empourpré de leur parfum. Je voulais créer Nerola parce que je ne trouvais aucun néroli qui me plaise, qui lui fasse honneur. Je le voulais aussi fidèle à la plante que possible, c’est pour ça que c’est surchargé de néroli et de fleur d’oranger. C’était presqu’une croisade de faire comprendre aux gens que c’était ça, le vrai néroli. Je voulais leur donner à sentir l’authentique, le vrai.

 

AH – Tu as l’air de vraiment aimer les ingrédients naturels…

 

ML – La nature est le lieu où je me ressource. Quand j’ai commencé à travailler, je créais des parfums pour d’autres marques et j’utilisais des accords mais je ne crois pas qu’il y ait de « martini rose » ou de « pamplegroove » à l’état naturel. J’ai commencé à chercher des matières brutes et tandis que je les sentais, j’étais transportée ailleurs. Ca va te sembler fou mais je sens que ces matières ont une âme. C’est l’âme des plantes que nous sentons. Elles ont leur personnalité. Le travail accompli pour donner ces huiles est intrinsèquement angélique. Je respecte énormément et admire ceux qui arrivent à capturer ces essences naturelles et à les embouteiller. La parfumerie naturelle est une méditation, une thérapie absolue.

 

AH – Y a-t-il une matière que tu aimes particulièrement ?

 

ML – Il y a bien une rose damascène du Maroc qui m’a faite pleurer. L’homme qui source mes matières premières a changé ma vie.

AH – Tu parlais tout à l’heure d’aromathérapie. Est-ce que tu dirais que ça s’applique aussi à tes clients sur-mesure ?

ML – Oui. Tu sais quand tu travailles des parfums, les clients se livrent à toi. C’est une thérapie pour eux. Le parfum est une sorte de sérum de vérité. C’est libérateur au point que mes clients se sentent libres de s’exprimer d’une façon qu’ils en ressortent comme guéris. Par la magie du parfum j’apprends à découvrir des personnes de manières très particulières.

 

AH – Cela tient à quoi d’après toi ?

 

ML – Quand tu travailles en tête à tête, tu vois une facette que ces gens ne montrent pas d’ordinaire. On a tous un rapport différent aux matières premières et c’est ce que je trouve intéressant d’ailleurs, de voir de quelle manière des personnes différentes vivent leur lien avec elles. Ils les voient d’une manière que je ne peux. Parce que les odeurs réveillent leurs souvenirs, ils commencent à me confier des détails intimes et ce n’est possible que par les parfums. Autrement on en resterait aux conversations banales autour du buffet mais parce que le parfum est si profondément ancré dans nos souvenirs, il transcende tout ça, il oublie les mondanités et va droit au but. Ce qui permet de vraiment rencontrer quelqu’un. Cette connexion authentique, je la trouve incroyable.

 

AH – Est-ce que tu te rends compte que tu crées des parfums qui changent potentiellement des vies ?

 

ML – Tu sais, quand je réfléchissais à quoi faire de ma vie, je me souviens m’être dite « Si je peux changer la vie d’une personne, j’aurai accompli ma mission » mais je ne pense pas à ça quand je travaille. Au contraire, j’ai peur que personne n’aime mes créations, je me remets constamment en question. Je pense que tous les artistes peuvent comprendre ça. Mon plus gros défi est d’arrêter de me mettre des barrières ce qui est d’autant plus ironique que je crois vraiment en la pensée créatrice. Je peux gérer les troubles financiers mais de me brider et de me dire « Tu n’en es pas capable » c’est mon plus gros obstacle. Donc non, je ne me dis pas « Ce parfum va changer la vie d’un tel » j’espère juste qu’ils l’apprécieront.

 

AH – Cela dit l’enthousiasme avec lequel ont été reçues tes créations par la communauté Instagram ne doit pas te laisser de marbre, si ?

 

ML – Ah non, au contraire. C’est une vraie famille, je me sens tellement proche de cette communauté. Ils m’apprennent tellement, je leur suis très reconnaissante.

 

AH – Je crois aussi me souvenir que tu es toi-même enseignante ?

 

ML – Oui, je partage mon amour avec tout le monde. En ce moment j’enseigne dans tous les sujets que je maîtrise. Je leur apprends à faire des parfums, des encens, à cuisiner. J’ai des neveux et des nièces qui s’y intéressent aussi. Ma vie consiste à partager ce que j’aime et c’est réciproque, particulièrement avec les enfants. J’adore voir leurs petites têtes s’illuminer quand ils ont appris quelque chose de nouveau. Avec eux j’aurais plutôt tendance à faire sentir des odeurs qu’ils connaissent déjà : des fleurs, des fruits, des bois. Je vais d’abord les décrire, comme l’odeur des fleurs qui fanent ou celle de la boue et leur faire réaliser à quel point c’est magique d’avoir pu capturer tout ça dans des bouteilles.

 

AH – Crois-tu à la magie des parfums, donc ?

 

ML – C’est là que le pouvoir ineffable de l’odorat prend le relai. Il y a des choses que je ne peux exprimer. L’odorat a son propre langage alors essayer de décrire sa magie… Disons que c’est un mélange de cette sensation que me procure une matière, du lien que je tisse avec quelqu’un qui l’apprécie aussi, et de la magie qui se dégage une fois mélangé à d’autres matières. Relation et alchimie. C’est comme ça que je la décrirais cette magie : une étincelle, une reconnaissance, une combinaison. Tu sais, il y a des personnes que l’on rencontre pour une raison, pour la vie ou une saison : je vis pour ces instants.

 

AH – C’est marrant que tu évoques de tels liens sachant que j’ai découvert ton travail par Winter Crocus, inspiré d’une citation du Seigneur des Anneaux qui est mon livre préféré. Tu disais tout à l’heure que Nerola était une « elle » qu’en est-il de Winter Crocus ?

ML – Je ne peux pas l’expliquer mais celui-là est masculin pour moi. Je ne voudrais pas genrer les parfums mais ils ont une certaine énergie quoique je croie qu’il n’y ait pas de frontières d genre en parfumerie. C’est pourquoi mes parfums sont pour “Tous Genres”. Cela dit, il a une beauté très hypnotique. Pour en revenir au Seigneur des Anneaux, c’est un amour très ombre. C’est l’histoire des ténèbres qui elles aussi ont besoin d’amour, aussi effrayantes soient-elles. Quand j’ai créé ce parfum, je l’ai fait essayer à mon amie Linda qui m’a dit qu’elle l’a mis avant de dormir et qu’elle rêva d’être dans une forêt sombre en disant que c’était un crocus très sombre. Et elle avait raison. Puis Amel Suljic [NDLR : Amiiamisu sur Instagram] a pris quelques clichés de ces crocus et c’était exactement ce que j’avais en tête depuis tout ce temps. Il y a une paix, une sérénité qui se dégagent de Winter Crocus. Même la mort a besoin d’amour…

 

AH – As-tu d’ailleurs connu des périodes difficiles dans lesquelles le parfum t’a aidée ? Est-ce que ça a changé quoi que ce soit dans ta façon d’aborder la vie ?

 

ML – Ca a tout changé. Ca a développé mes sens, amélioré la façon dont je me présente au monde. Nous dinions des amis et moi et après le repas je voulais leur faire essayer une huile que je venais de recevoir. Comme je l’avais découverte avec un bol chantant, je leur ai fait une méditation au bol chantant puis ai oint leurs tempes et leurs fronts. Ca les a ouverts et ils sont partis chamboulés. Ils sont partis avec une énergie changée. Et c’est ça, c’est ça que le parfum a changé dans ma vie : je le montre à tout le monde, dans mes plats, mes tenues. C’est constamment avec moi. Chaque fois que je forge un souvenir, je m’assure de savoir ce qu’il sent pour pouvoir y revenir plus tard.

 

AH – As-tu toujours perçu le parfum comme moyen d’atteindre des dimensions plus subtiles de l’existence ?

 

ML – J’ai toujours été fascinée par les esprits, le fait d’être connectée à d’autres dimensions. J’ai grandi avec ça mais c’est toujours resté dans un coin de ma tête. Je ne voulais pas y croire avant d’être prête, avant de pouvoir lâcher prise, avant une période assez sombre de ma vie, il y a 7 ans. J’avais vécu en tenant tout sous contrôle, en ayant peur de n’en jamais faire assez ou assez bien que mon éveil spirituel est advenu quand j’ai lâché prise sur tout ce sur quoi je n’avais aucun contrôle. La vie est venue me voir, en ses termes, et m’a rapproché de mon être spirituel.

 

AH – A la lumière de tout ça, que dirais-tu de ton rapport au parfum ?

 

ML – C’est un autre instrument. Je ne fabrique pas d’instruments mais j’en joue et la musique a le pouvoir de rendre les gens heureux. C’est comme si tu écoutais une chanson mais en la sentant. Quand tu vois quelqu’un se déhancher sur un super morceau, c’est ça que je ressens quand quelqu’un me dit qu’il aime mon parfum. Je veux que le monde fasse l’expérience de la vie, de cette vie. Parce qu’elle est là et disponible pour tous. Parce que c’est le paradis.

Traduit de l’anglais par Alexandre Helwani