Les Origines de l'Encens
Mes chers fous en sens,
C’est un Aperçu sur l’encens du Temple de Jérusalem qui a ouvert notre site il y a un an, c’est pourquoi nous avons pensé juste d’entrer dans cette année, la deuxième, en écrivant sur la matière la plus emblématique de notre travail, la source du parfum : l’encens. Car parler d’encens, c’est se retourner sur les origines mêmes du parfum, c’est pénétrer dans son étymologie, c’est faire l’expérience d’un voyage temporel et se reconnecter aux racines de l’humanité, à ses profondeurs intimes, à son expérience spirituelle universellement vécue depuis des millénaires au travers de cette tradition liturgique et rituelle de combustion d’encens. Ensemble, mes chers amis, voyageons aux origines sacrées de l’encens.
Avant que d’en parler longuement, il convient avant tout de s’intéresser au sens même du mot « encens » aujourd’hui galvaudé, voulant tout et rien désigner. « Encens » nous vient du latin « incendere » ce qui veut dire « faire brûler, briller » et qui donna notamment « incandescent ». Le mot encens désigne donc, de fait, toute matière que l’on peut faire brûler, qu’il s’agisse de résines –oliban, myrrhe, benjoin &c.- d’épices –muscade, gingembre, cannelle- ou de végétaux –rose, lotus, camphre, jasmin.
Néanmoins, ce que l’on entend le plus souvent par encens sont les résines sécrétées par les arbres du genre Boswellia dont le plus prisé est le Boswellia Sacra, natif du Sultanat d’Oman, réputé pour la suavité de son goût et son parfum de menthe et d’eucalyptus. D’autres sous-espèces existent néanmoins : le boswellia serrata venant d’Inde ; le boswellia papyrifera natif du Rift à l’arôme caractéristique de citron amer ; le boswellia frereana ou Maydi aux arômes de caramel de fleurs et de fruits utilisé majoritairement par l’Eglise copte éthiopienne ; le boswellia rivae balsamique et gourmand ou encore le très rare boswellia socotrana natif d’Indonésie.
C’est bien cet oliban que l’on retrouve vingt-et-une fois dans la Bible notamment dans la recette du Qetoret, l’encens du Temple de Jérusalem ou encore dans le Cantique de Salomon où il est écrit « Jusqu’à ce que (…) fuient les ombres je m’en irai à la montagne de myrrhe et à la colline de l’encens » et auquel il est fait référence lors de la vision du prophète Isaïe disant « Un des séraphins vola vers mois, tenant à la main un charbon ardent qu’il avait pris sur l’autel (…) il en toucha ma bouche et dit : voici, ceci a touché tes lèvres, ton iniquité est enlevée et ton péché expié ».
Le lecteur se demandera ici le rapport entre l’oliban et le charbon ardent mentionné par Isaïe et c’est ici que l’étymologie vient, une fois de plus, à notre secours.
Le mot « oliban » nous vient de l’hébreu « lebonah » lui-même issu de la racine « laban » signifiant ce qui est blanc et pur car voilà bien ce qui nous intéresse : la pureté. L’oliban est la fumée blanche et lumineuse entourant le fidèle comme la nuée nimbait le peuple Hébreu symbolisant ainsi la puissance protectrice de Dieu mais c’est surtout la fumée blanche, immaculée, sans tâche purifiant le pécheur de ses fautes. Le charbon ardent dont Isaïe fait mention était prélevé par un séraphin sur l’autel des parfums, lequel se situait dans le Saint des Saints du Temple de Jérusalem or les séraphins sont, dans la tradition judéo-chrétienne, le plus haut ordre angélique vivant au plus près du trône divin.
Isaïe précise plus tôt dans le texte de sa vision que la maison « se remplit de fumée », cette même fumée d’encens manifestant physiquement la chekina, la Présence Réelle de Dieu.
La nuée est donc le lieu de la manifestation divine, de la rencontre entre humanité et divinité comme plus tôt sur le Mont Sinaï ou plus tard sur lors de l’épisode de la transfiguration sur le Mont Thabor. Elle ne crée pas mais manifeste physiquement et sensiblement une réalité invisible et impalpable, cachant le fidèle aux yeux du monde pour le faire entrer dans l’intimité de Dieu.
L’encens rend donc sensible la transfiguration de l’être, sa déification et l’être encensé est ainsi rappelé à sa vocation sacrée, à son « sacerdoce royal » or cette vision de l’encens n’est pourtant pas propre aux judéo-chrétiens mais s’origine sans grande surprise en Egypte Antique –et nous en revenons donc aux origines même de l’encens.
Là, sur les rives du Nil, l’encens était vu comme l’exsudation des Dieux eux-mêmes. Il faut pour s’en convaincre lire les Textes des Sarcophages où le dieu Râ dit : « c’est de ma sueur que j’ai créé les dieux alors que les hommes sont issus de mes larmes. » ou encore dans le rituel d’ouverture de la bouche du temple d’Amon : « L’encens du dieu qui est issu de sa chair, la sueur du dieu qui est tombée au sol, qu’il a donnée à tous les dieux… c’est l’œil d’Horus. S’il vit, le peuple vit ; sa chair vit, ses membres sont vigoureux ». Il était cru alors que la myrrhe, comme on le trouve sur les murs du temple d’Edfu, que la myrrhe la plus fine « jaillit de l’œil de Râ » tandis que les autres jaillissent des yeux de Thoth ou d’Osiris.
L’encens s’envisageait comme l’offrande parfaite car qu’y avait-il de plus parfait à offrir à un dieu que le dieu lui-même ? Cette offrande avait pour but de vivifier les idoles des dieux, transférant la bonne odeur du dieu réel dans son image sculptée afin de l’animer. Ainsi divinisée, la fumée configurait le prêtre au dieu qu’il adorait, lui faisant partager sa nature super-naturelle.
Ce pouvoir de déification de l’encens allait jusque dans la tombe. Puisque les larmes d’encens rappelaient celles qu’Isis versa pour ressusciter Osiris et puisque la fumée divinisait le prêtre autant que l’idole, on vit l’encens prendre une place prépondérante dans les rituels mortuaires afin que le corps inerte devînt vivant de la vie d’Osiris lui-même. Un des Textes des Pyramides dit d’ailleurs : « L’encens est sur la flamme, l’encens brille. Ton parfum vient à moi, encens ; mon parfum vient à toi, encens. Votre parfum vient à moi, Dieux ; mon parfum vient à vous, Dieux. J’existe avec vous, Dieux ; vous existez avec moi ; Dieu. Je vis avec vous, Dieux ; vous vivez avec moi, Dieux. »
Ici la forme du texte nous en apprend autant que le fond et c’est éloquemment qu’il désigne le pouvoir résurrectionnel de l’encens « Je respire l’air qui sort de ton nez, le vent du nord qui vient de ta mère. Tu glorifies mon esprit, tu fais d’Osiris mon âme divine ». Les égyptiens espéraient ainsi que le corps du défunt par l’encens soit configuré à Osiris, le dieu qui est ressuscité des morts, devenant eux-mêmes Osiris et ressuscitant ainsi.
L’étymologie –encore elle- valide cela puisque ce que nous traduisons par « encens » est en égyptien « senetcher » ce qui veut dire… «ce qui rend divin ».
Le parfum n’est pas accessoire mais il est essentiel, il porte l’essence de l’être qui l’offre sous forme d’encens. Il désigne le lieu même de cette transfiguration, de cette déification de l’être humain qui se produit par la fumée et à travers, derrière, au-delà de la fumée, dans le secret de la nuée lumineuse. C’est par la fumée que l’homme se fait dieu, par la fumée que le mortel devient immortel, par la fumée que l’inerte est ramené à la vie, par la fumée que la vie s’exprime et qu’elle retourne à ce qu’elle a créé.
Il n’y a donc de parfum sans encens puisque l’encens est l’origine même du parfum. L’oliban en tant que puissance protectrice et purificatrice d’un dieu salvateur, la myrrhe en tant que son essence vivificatrice, rouge comme le dieu-soleil Râ, le labdanum comme la barbe d’Osiris figurant la barque mystique conduisant les morts au lieu de la vie immortelle.
Faire donc l’expérience de l’encens c’est faire l’expérience de ce voyage hors du temps, c’est pénétrer dans cette nuée mystérieuse où secrètement l’être est créé à nouveau, c’est goûter, c’est sentir l’éternité et entrer dans un lieu hors de tout espace, dans un instant hors de tout temps.
C’est faire l’expérience de la vie nouvelle que l’on nous insuffle à mesure qu’on l’insuffle, que l’on nous offre à mesure qu’on l’offre.
C’est entrer dans la vérité profonde de la vie véritable qui est don, du don qui est amour, d’un amour que l’on reçoit à mesure qu’on le donne. C’est entrer dans cette communication parfaite qui ne fait que grandir l’être à mesure qu’il se diminue et ainsi goûter le paradoxe suprême de cet amour qui s’assume jusqu’à la mort.
De mes larmes,
Jaillit la vie.