The Perfume Chronicles

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Avoir Palerme à l'oeil

Palermo Don Corleone

par Dominique Dubrana alias AbdesSalaam Attar

pour La Via del Profumo 



Nous n’avons jamais vu Palerme. Nous n’avons pas eu la chance de fouler ses pavés. Nous n’avons pas chanté sous les toits d’or de sa chapelle palatine. Nous n’avons pas regardé la mer s’enfuir du haut de ses remparts angevins. Nous n’avons pas souffert l’ardeur de son soleil coruscant, ni n’avons goûté les douceurs de son palais. Nous ne nous sommes pas enfoncé dans son ventre de ruelles. Nous ne nous sommes pas aventuré dans l’obscurité de ses passages. Nous n’avons pas connu la suavité de ses parfums.

 

Ou plutôt si.

 

Cela, nous l’avons fait. Grâce à l’inénarrable AbdesSalaam Attar, un homme cachant ses mille talents derrière un voile d’humilité. Il a, il y a quelques années déjà, créé pour un ami un parfum d’une beauté ravageuse. Personnel et indomptable comme le reste de ses créations, Palermo Don Corleone nous a séduit à peine la fiole ouverte. Permettons-nous un mot au sujet d’AbdesSalaam. Nous avons rarement rencontré un homme guidé par une telle passion, un tel amour à l’égard de son art et de ses matières premières ; un homme ayant une telle capacité, innée, à exprimer l’inexprimable ; ayant un tel talent pour extraire la substantifique moelle de matières nobles et naturelles. Vous ne trouverez pas son semblable, que ce soit en talent ou en intégrité. C’est un homme de confiance ; un homme honnête celui-là. Un qui ne ment pas lorsqu’il crée. Ses parfums sont limpides lorsqu’il s’agit de déceler les divers ingrédients qu’ils renferment. Luxe à l’état pur en effet, pas à la façon d’une feuille d’or richement étalée, mais à la façon d’un prince arabe drapé d’humilité. AbdesSalaam est un homme qui comprend la psychologie derrière les parfums et ceux qui les portent ; qui comprend les combats les plus intimes de l’âme et qui, de la ténèbre, fait surgir la lumière.

Le propos est simple : distiller l’aura des siciliens. Quoi de mieux, lui semblait-il, pour ce faire que d’oser une vanille en surdose, caractérielle, joueuse, tapageuse, sensuelle et folle, douce et sauvage ?

 

Une vanille sicilienne, en somme.

 

Une vanille, encore ? Nous dirions plutôt : une vanille, enfin.

 

Enfin une vanille se révélant telle qu’elle est : épice.

 

Charnue, charnelle, son cuir et son âpreté sublimées par un tabac tout en virilité. Cette vanille n’est pas gourmande, elle ne couche pas avec le sucre, le miel, les loukoums et les accords lactés. Elle est fière, brûlante comme l’Etna. Elle est noire, tannée par le Soleil. C’est la vanille plantureuse que l’on découvre sur la plante.

En portant Palermo Don Corleone, il nous est souvenu un souvenir d’enfance qui nous porte sur une autre île.

 

Mon île.

 

Il faisait chaud en ce jour, et humide. L’été réunionais plonge l’humanité dans une torpeur apte au sommeil et à la contemplation. Nous ne contemplions rien en ce jour, nous marchions. L’alentour n’était qu’une immense canopée verdoyante. Aux rameaux des flamboyants s’abritaient des oiseaux multicolores, les abeilles butinaient au creux des hibiscus. Des gouttelettes perlaient des feuilles et des troncs. La nature respirait, transpirait en plein jour. Elle avait chaud sur les pentes du volcan. Nous marchions en pleine jungle. Tout, le ciel, le sol, se dérobait à notre vue. Nous nous demandions si nous en verrions la fin ou si nous ferions demi-tour quand s’ouvrit devant nous un horizon inespéré.

Derrière les branches, une clairière rase inondée de soleil. L’herbe sèche avait jauni, les troncs millénaires cédèrent leur place à des arbustes en fleurs et au bout de ce jardin qui s’entretenait lui-même nous vîmes une maison. Une case en bois, peinte à la chaux. Coloniale, avec ses balcons, ses découpes en fer forgé et ses fenêtres à carreaux. C’était un jour de grande activité à la Maison. Nous étions loin encore mais voyions déjà s’affairer une dizaine de femmes créoles à Dieu savait quoi.

 

La brise nous souffla la réponse.

 

Du haut de notre mètre quarante, nous fûmes soulevé par un parfum capiteux de vanille, de fleurs et de sueur. Cela nous fit l’effet d’une bombe. Nous traversâmes le mur du parfum et entrâmes dans une sphère où se chamaillaient la vanille, l’herbe coupée, la jute, le bois sec, les fleurs de frangipanier, les lys, les roses, la sueur, et la fraîcheur humide de la jungle qui nous gardait enclos.

 

Nous n’avions jamais rencontré de vanille si sauvage depuis. Si honnête, si impuissante. Elle était là, étalant ses kilos d’or brun sous nos yeux, à même le sol, sans artifices. Et elle nous empourprait les sens de son parfum. C’est une femme indépendante, la Bourbon. Comme la sicilienne, elle rit et chante et danse. C’est une princesse, oui, mais princesse des îles. Elle ne se pare pas de diamants : elle a pour seule couronne la nature qui l’accueille, pour seule parure les fleurs qui jonchent le pas de sa porte.

 

Palermo Don Corleone est insulaire elle aussi, c’est ce qui explique peut-être sa différence. Elle s’est construite à l’écart, en son temps, gardant loin d’elle l’influence d’un continent en constante mutation. La vanille est devenue pour nous synonyme de sucre, de douceur, d’indulgence : elle est le trésor de nos crèmes, de nos glaces, de nos madeleines, de nos Cyril Lignac, de nos Pierre Hermé. Elle se fait subtile pour flatter notre palais, docile pour apaiser nos sens.

 

Mais elle était autrefois le joyau des volcans, de Tahiti à la Réunion. Elle s’épanouissait à l’ombre de leur fureur, s’abreuvait de leur tempérament de feu. Elle était bouillante et dangereuse la vanille d’alors, seule récompense des explorateurs les plus téméraires. La princesse inviolée d’une nature déchue, la douceur d’une jungle colérique encore blessée du départ de l’Eden. Mais elle avait encore sur elle le reste de l’Amour qui forgea les étoiles et le ciel. Sous sa coque de cuir, elle conservait intact le goût de la félicité d’Eve, sa mère - et le parfum de ses cheveux.

 Palermo Don Corleone est la vanille d’une île, d’un mythe. La vanille épique, antique. La vanille telle qu’on l’a voulue, telle qu’on l’a oubliée.

 

Aux accents du tabac, elle se mêle à ceux de la tubéreuse qui ornait son front. Vanille princesse, vanille pécheresse.

 

Vanille humaine, au cœur battant,

 Sanglant,

 Boitant,

 

d’Amour....


Palermo Don Corleone - La Via del Profumo

47€ / 95€ / 137€ - 15,5ml / 33ml / 50ml

Pour plus d’informations, visitez leur site web : www.attarperfumes.net