Rosca Ametlla - Nolença
Rosca Ametlla
par Mylène Alran et Sidonie Lancesseur
pour Nolença
Il faut s'éveiller à l'heure de l'aube tandis que les cloches battent le rythme du jour qui vient. Il faut s'éveiller en brume de draps de lin, à la douceur cottonneuse d'un ciel de prime été, à la lueur chaude mais frissonnante des derniers frimas d'hiver.
Il faut parcourir la vaste lande qui sépare l'horizon des Corbières, la mer bleue et salée des noirs sommets que déchiquètent les citadelles. Il faut voir s'élever les rouges murailles des cathédrales et les pavés roses des cités ; les colonnes des thermes et les platanes encadrant les vignes sèches comme rangs d'armée.
Il faut sentir la pierre qui chauffe sur les places et la couleur des maîtres-orgues et la patine du bois des stalles et des crépis que dessèche l'été.
Il faut sentir l'ocre des toitures et l'ambre des cafés aux brûloirs. Il faut sentir la jeunesse qui pétille et chuchote au clapotis des ruisseaux.
Il faut sentir la torpeur de l'âme saisie au creux de midi et celle qui s'endort au son des campaniles. Il faut sentir celle aussi qui se berce, verre à la main ; les glaçons de liqueur, la lèvre pourprée de tanins - et les enfants qui chantent.
Il faut se savoir échapper aux clameurs du monde, il faut se savoir emporté par les cigales languedociennes, il faut se savoir perdu dans les lacs salins qui rosissent en plein soir.
Il faut se souvenir de ces minutes fugaces que l'on échange entre amis, des papillons d'un premier baiser, des amours estivales que l'on tisse sans penser, que l'on vit sans lendemain. De l'insouciance insouciante de l'adolescence en fleurs ; de la dolce vita qu'on embrasse dès que la vie se fait lourde.
De la liberté soudaine que l'on embrasse à plein corps. De la peau si sucrée de celle et celui qu'on aime. De la sueur alcoolée, des cheveux parfumés de sel, des vapeurs d'anisette qui transpercent le tissu de la tente.
De cette nuit d'amour, la première.
Il faut en portant Rosca Ametlla convoquer ces belles heures d'une jeunesse qui se fane. Au son du pamplemousse claironnant l'acidule, il faut se rappeler la blondeur de nos cheveux. Au son de l'anis et de sa mélodie d'ivresse, laisser couler les soucis de l'âge.
Nuage de sucre glace qui colle la peau, nuage qui la rend douce à croquer, douce à mordre et lécher. Gourmandise d'été, lumineuse peau halée par l'huile et le soleil ; blancheur d'un sourire et d'une mèche gorgée de chlore ; juteuse, pulpeuse exaltation d'orange et d'oranger.
Jaune, jaune, jaune, rose et jaune.
Voilà Rosca Ametlla. Une gourmandise non gourmande, évitant l'écueil de l'écoeurant, préférant le sucre glace au caramel, l'anis à l'amande, le pamplemousse au fruit de la passion. Rappelant le gourmand d'autrefois, rappelant la rousquille de l'enfance qu'on déguste en se léchant les doigts et la lueur jaune du Sud qui éclaire les arpents de pinèdes et de montagnes rouges.
Un travail d'équilibre tapissant l'épiderme comme un voile de fin organza, comme une gaze presque fraîche que l'on se pose sur la nuque.
C'est une fraîcheur zestée, c'est un souvenir précis à l'image du travail et de l'émotion des deux créatrices de cette jeune maison. Nolença, la fragrance occitane se fait ici catalane. Elle prend avec elle les ballots de fleurs de l'autre Catalogne et la chaleur de son Soleil toujours ardent.
Fleurs blanches presque pompeuses, mirage d'alcoolat de jasmin, d'un reste de concrète collé au fond de l'alambic. Fleur d'oranger pâtissière quasi amandine qui mue en un ambre doucereux, légèrement vicieux, laissant sur la peau comme une odeur de salive sucrée.
On y goûte. On y revient. Rosca retient.
Parfum sincère, sans prétention, touchant des cibles qu'il n'aurait prétendu atteindre. Virginale légèreté de l'enfance qu'on étire, il est le rire des vieux regards et les rides du sourire.
Il est le fard dont on se teint pour cacher les affres du temps et l'honnêteté ingénue de ceux qu'on aime. Fusant sans être piquant, il est l'envol d'une nostalgie, du mélancolique à la joie. Il est ces heureux événements, ces premiers moments.
Parfum des premières fois
Que l'on n'oublie pas.
L'amour,
Le désir.
Les saisir.