The Perfume Chronicles

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Sub rosa : les secrets de la rose

Mes fous en sens,  

Vous aurez sans doute lu notre Critique d’Amaya, de Dhaher bin Dhaher, publiée la semaine dernière. Vous y aurez aussi vu Damas, plusieurs fois mentionnée et c’est bien ce qui nous mène à notre sujet du jour : à Damas, ou plutôt à sa rose, ou plutôt à la rose. Car si l’histoire de la rose de Damas est désormais connue, l’on est plus dubitatif quant à celle de la fleur elle-même. Cette fleur, devenue si banale ; cette fleur que l’on vend à deux sous sur les trottoirs de Paris ; cette fleur si aimée et pourtant détestée au point qu’on lui en retire sa crinière et son souffle ; cette fleur connue de tous est, comme bien souvent, la grande inconnue.

 

Symbole de l’amour ou tantôt du pardon, de la pureté ou tantôt de la passion, du regret, des larmes et de l’ingénuité, la rose a imbibé toutes les cultures du monde de son poison parfumé. Qu’il s’agisse de l’Inde ou de l’Europe, du Japon ou de la Rome Antique, pas une civilisation, pas une époque, ne semble avoir échappé à ses charmes. Alors que nous souhaitions écrire un Aperçu sur l’ambregris en tandem avec une Critique d’Anbar de Tola, notre soudain revirement en faveur d’Amaya nous a forcé d’envisager une nouvelle entreprise : celle de creuser et de déterrer les racines secrètes de la rose.

 

Ensemble mes amis, partons à la découverte des racines secrètes, des racines mythiques, des racines mystiques de la rose.

 

Quoique l’on admette désormais que la rose soit née dans l’actuel Iran, notre intérêt se porte davantage sur l’Hellade car les Grecs, par l’intermédiaire –dit-on- ont découvert en la rose un joyau tombé du ciel. Qui ne se souvient d’ailleurs pas du beau vers d’Hésiode décrivant « Aurore aux doigts de rose » ? Depuis les jours de Midas, la culture de la rose essaima tant et si bien qu’on en cultivait des variétés à Trachine, en Lydie, à Milet ou Émathie. La Grèce sans être la mère naturelle de cette fleur, en devint la mère adoptive. C’est dans la mythologie grecque, en effet, que la rose trouve ses heures de gloire. C’est là aussi qu’on en trouve l’origine divine.

 Plusieurs versions s’affrontent. La plus connue rapporte que la déesse Chronis, en promenade, se trouva nez à nez avec le cadavre de la plus belle des nymphes. Meurtrie, la déesse en appela à ses frères et sœurs de l’Olympe, qui vinrent la consoler. A Apollon, elle demanda de lui insuffler un nouveau souffle de vie. A Dionysos, elle demanda un nectar parfumé. Elle-même lui offrit une couronne de pétales soyeux tandis qu’Aphrodite, enfin, lui accorda la beauté et devant pareille splendeur, lui donna son fils, Eros, comme parrain. C’est de là que nous viendrait le nom de « rose ». Jubilant, Chronis en appela à Iris et Aurore, afin qu’elles annoncent aux dieux l’heureuse nouvelle. Iris passa son doigt dans la corolle de la fleur et en teinta son arc-en-ciel, tandis qu’Aurore en teinta les cieux.

 

Une autre légende quant à elle raconte qu’Adonis, l’amant d’Aphrodite, fut mortellement blessé lors d’une chasse. La déesse se précipita alors à ses côtes et de la mixture de leurs larmes et du sang de l’aimé naquit une rose écarlate au parfum inégalable.

 

Ces deux versions qui paraissent diamétralement opposées ne le sont au final que très peu. Elles nous montrent qu’avant le reste de l’humanité, les Grecs puis les Romains associaient la rose à l’amour. Et à la mort. Dans les deux versions, la rose est signe de la résurrection, elle est signe d’un amour plus fort que la mort, d’un amour tel qu’il ressuscite ou plutôt réincarne un être cher en une fleur plus belle encore.

 

En relisant ces mythes, nous avons aussitôt fait le lien avec un autre mythe, apparemment totalement différent : celui d’Atys et de Cybèle. Car plus tard, leur histoire reprendra à leur compte la symbolique de la rose et la doublera d’une autre –que nous verrons très vite. Concernant l’amour vainquant la mort, nous voyons que confrontée à la mort d’Atys, Cybèle le fera renaître sous la forme d’un pin, toujours vert. Philippe Quinault lui fera même dira, dans l’Atys de Lully : « Atys est ranimé par mon souffle divin, malgré la mort cruelle, l'amour de Cybèle ne mourra jamais. » Cybèle, mystérieuse Cybèle qui absorbe en elle-même les propriétés du mythe ancien et ouvre à la rose son chemin mystique.

 Le deuxième sens profond de la rose, son sens résolument mystique, est en effet celui de l’union au divin. Plus que la résurrection, la rose, avec Cybèle, annonce l’incarnation car Cybèle est, chez les Phrygiens, la première icône véritable d’une descente. Son icône était d’ailleurs une météorite d’où elle tient son nom. Avec elle, les dieux quittent le domaine tellurique pour véritablement s’incarner sur Terre, avec elle l’astral se fait matière. Évoquant une procession de son icône dans De Rerum Natura, Lucrèce dit : « D’un nuage odorant les roses la couronnent, voilant la grande Mère et ses prêtres armés ». La rose ici couronne la reine-mère, la Mère-Terre, la première Magna Mater. Elle couronne celle qui est non pas seulement signe mais icône de l’union entre les dieux et l’Humanité et choisit, pour manifester cette union, la rose. Cette même rose qu’Iris ajouta à son arc-en-ciel, ce même arc-en-ciel qui plus tard sera signe de l’union entre Dieu et l’Humanité.

 

Cybèle surtout annonce à la rose sa vocation mystique. Mère des Dieux, elle annonce la Mère de Dieu. Son incarnation annonce l’Incarnation chrétienne. Ressuscitant Atys, elle annonce la Résurrection. La Magna Mater annonce la Dei Mater.

 

Vocation mystique car la Vierge Marie prendra le vocable de rose mystique, à savoir cachée. Des mythes aux mystères. Rose mystique c’est à dire cachée, cachée car comme le dira le cardinal Newman au sujet de l’Assomption, la Vierge Marie à sa mort est montée aux cieux, ne laissant aucun corps à vénérer derrière elle. Cette absence, ce secret, ce silence : serait-ce là le sens mystique de la rose ? Non. Ce que cet épisode de l’Assomption, ce que la Rose Mystique nous apprend c’est que le sens profond de la rose n’est pas le silence du tombeau, ni le secret du mystère, ni l’absence de dépouille – mais l’union de la terre et des cieux, des Hommes et de Dieu.

 Il suffit, pour conclure, de jeter un œil aux représentations de la Vierge Marie. On la peint souvent avec les attributs d’une reine : assise sur un trône, elle porte une couronne sur son front mais au lieu de sceptre, elle tient une rose. Non pour signifier la pureté, c’est là le sens secret du lis, mais bien pour signifier sa royauté. Or, la royauté de la Vierge Marie, c’est d’avoir été parfaitement unie à Dieu. La source, la vérité et le but de cette union, c’est l’Amour.

Oui, mes chers amis, les roses ne sont pas le mièvre symbole de la passion que l’on achète à la Saint Valentin. La rose est là pour nous rappeler qu’il y a plus à la vie que la mort, le deuil et le chagrin. Qu’il y a plus à la vie que les regrets et le culpabilité. La rose, avec Attis et Aphrodite, avec Cybèle et la Vierge Marie nous montre qu’il y a même plus que la vie.

Il y a l’Amour.