The Perfume Chronicles

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Musc slavon

Russian Musk -Areej le Doré

 Russian Musk

par Russian Adam

pour Areej le Doré


Réveille-toi ô toi qui dors. Relève-toi d’entre les morts. En cette matinée d’hiver, tu te rendais compte combien elle était froide, la terre des cosaques et combien plus blanche, la couche des Tsars. Au lieu de l’horizon où la taïga s’éteignait, tu marchais. La neige jusqu’aux genoux, tu marchais ; la tête baissée, la langue givrée, les lèvres gercées, la peau glacée – tu marchais. Tout se taisait en ce matin, les oiseaux et les plaines ; sous le ciel bleu, sous la blanche taïga où le silence est roi. Il n’y avait rien pour vivre ou chanter, pour boire, pour crier – rien que toi, qui t’avançais. Combien de kilomètres, combien d’heures passées sous le regard des aurores boréales, combien de temps déjà, combien de temps encore marcherais-tu ? Jusqu’où, petit enfant, jusqu’où irais-tu ?

Car malgré ta barbe et les cicatrices que la vie t’avait laissées, tu ne restais pour moi qu’un enfant, marchant entre les arbres blancs, entre les troncs noircis par la fumée. Marchant parmi la vie comme un ange parmi l’Enfer. Oui, malgré ton œil épuisé et les rides au coin de tes yeux ; malgré ces mains qui avaient serré tant d’amours, qui avaient connu tant de morts et séché tant de larmes, tu ne restais pour moi qu’un enfant. Malgré ton souffle las et la fébrilité de ton bras, malgré le noir de tes vêtements, malgré le blanc de tes cheveux, malgré ta barbe d’enchanteur – tu ne restais pour moi qu’un enfant.

 

Ce chemin, tu l’avais emprunté tant de fois mais en ce jour, tu peinais. A l’ombre des pins, tu sentais, tu savais venir l’heure inéluctable, celle que nul ne fuit, celle que nul n’arrête, celle que nul ne guette. Tu aurais aimé qu’elle vînt plus tard, après que tu aies vu les bulbes dorés qui couronnaient ton village et la fumée s’échapper des cheminées et l’odeur de l’antidoron cuisant dans le four. Tu aurais aimé voir encore le bleu et le rouge et l’or des fresques et les voiles blancs des vierges en prière, goûter encore à la chaleur d’un sourire et entendre le carillon sonner les heures saintes. Mais toi, mon enfant, tu savais l’heure venue – l’heure inéluctable, celle que nul ne fuit, que nul n’arrête, que nul ne guette, celle que nul n’oublie.

Alors, comme un enfant, tu passas la main dans tes cheveux, tu t’humectas les lèvres et époussetas ton manteau – comme un enfant devant sa mère. A l’ombre d’un pin tu pris abri et joignis pour une fois dernière tes mains en prière. Alors, comme un enfant, aux premières lueurs de l’aube et les yeux fermés, tu te mis à chanter – comme un enfant devant sa mère. Et les loups sortirent de leur tanière. Alors, comme un enfant, sentant la fourrure des loups dans l’air, tu t’agrippas à la seule main que tu aies – comme un enfant devant sa mère. Et pourtant, mon doux enfant, tu ne te plaignais pas, ta voix ne sanglotait pas de regrets. Non, mon fils, sous le chapiteau de neige, face à face avec les loups, tu ne craignais pas. Car la paix avait inondé ton cœur, comme l’amour d’une mère ; d’une mère pour son enfant. Car au loin tu pouvais entendre les carillons sonner l’heure sainte.

 

Alors, comme une mère, je te pris par la main – comme une mère pour son enfant. Autour de toi, le printemps avait repris ses couleurs, le soleil son empire, la chaleur son domaine. Alors, comme une mère, je te pris contre moi – comme une mère pour son enfant et comme une mère, je te couvris de mes baisers, de mon parfum.

 

Sentais-tu la fourrure et la fraîcheur du citron ? Sentais-tu la douceur du musc et le velours du néroli ? Sentais-tu, mon enfant, le lait de mon amour aux accents de rose et l’odeur des gâteaux de Pâques brûlant dans le four ? Sentais-tu l’épice et la cinnamome, l’envolée de fleurs du jardin ; sentais-tu le bois des icônes et la sainteté des ascètes ? Sentais-tu, au milieu de ce pays de mousse, de cette forêt de pins à la résine glacée, sentais-tu l’humidité des laures éclairées par les cierges et les cantiques ? Sentais-tu, mon fils, l’amour d’une mère – d’une mère pour son enfant ?

Russian Musk, nous nous rappelons l’avoir senti dans une fiole ; si frêle, si translucide, son jus clair comme une topaze. Si délicat dans sa fiole, nous tremblions de peur de la casser entre nos doigts. Ce parfum est l’histoire d’un matin froid et brumeux, d’un homme grimpant une colline surplombant la plaine parisienne et découvrant, derrière des rangées d’arbres humides, le bois coloré d’une église slave – sortie d’un mythe – au milieu d’une ville qui ne la regardait pas. Russian Musk, ce jour, nous a transporté en un lieu que nous savions exister sans pour autant l’avoir jamais vu.

 

Ce parfum nous a rendu nostalgique d’un temps que nous n’avons pas connu, il a convoqué des souvenirs que nous n’avions pas encore vécus. Là, sur cette colline boisée et givrée d’hiver, nous avons compris que Russian Musk était autre chose qu’un parfum. Sa texture apportée par le musc véritable, veloutée par une fleur d’oranger et rassérénée par une pointe de cannelle, n’apporte pas seulement la sensation du confort. Ce parfum nous a apporté quelque chose que nous n’avions alors jamais senti qu’en prière : la sécurité. C’est une fragrance spirituelle, élevant l’homme au-dessus des neiges, des regrets et des loups – une fragrance à la profondeur insondable.

 

Nous avons l’habitude des encens. Nous connaissons bien les panaches de fumée parfumée à la rose, au jasmine et à la cannelle. Nous connaissons bien l’odeur des miracles et des huiles sacrées et ces autres parfums d’outre-monde qui procurent la paix aux âmes esseulées. Nous ne pensions simplement pas en faire l’expérience avec un parfum “profane”.

 Oui, Russian Musk est assurément d’un autre monde. C’est le parfum des choeurs angéliques, c’est l’architecture de leurs chants monodiques qui se développent comme une goutte d’encre dans un verre d’eau. Nous pourrions nous attacher à ses seules notes mais ce serait passer à côté de ce qu’il est vraiment : une expérience. Russian Musk, c’est faire l’expérience de l’amour à la russe, d’un amour inégalé jusqu’à la mort, avec son caractère et son exigeance.

 

Russian Musk, c’est le parfum de la miséricorde, de l’amour maternel du père, de l’amour passionnel, crucifiant, de l’amour dans ce qu’il est vraiment : paisible, patient.

 

Hors de la peur, hors de la mort,

 

Hors du temps.


Russian Musk - Areej le Doré

Édition limitée 50ml - 350$

Pour plus d’informations, visitez leur site Web : www.areejledore.com