Vétiver : l'Arbre de Vie
Mes fous en sens,
Suite à notre Critique de Vétiver de Guerlain –à lire ici- nous avions souhaité écrire un Aperçu concernant les usages divers du vétiver en Asie du Sud-Est cependant, il nous a paru plus intéressant d’aborder une autre facette bien moins connue du vétiver, en nous appesantissant sur sa symbolique, une fois encore, ésotérique et spirituelle. Ce n’est en effet pas anodin si notre site a pour devise : « Dire l’Indicible ». L’Indicible, c’est bien cet autre du parfum, ce qui atteint et saisit l’âme à travers la fumée, le sillage et le ballet de molécules de tête, de cœurs, de fond.
Au cours de nos recherches sur le vétiver dans les cultures asiatiques, nous avons remarqué un certain leitmotiv : il y était toujours thérapeutique avant d’être objet parfumant et toujours il était associé à l’ancrage énergétique. Et c’est de cela que nous allons discuter aujourd’hui. Mes amis, ensemble parcourons les méandres du Yin, du Yang et de la Kabbale pour découvrir le Vétiver, cet Arbre de Vie.
Il n’est pas étonnant de voir le vétiver associé à l’ancrage car ses racines, aussi nombreuses que profondes, sont connues pour stabiliser les sols et les talus, les berges des rizières ou protéger les littoraux indiens de l’érosion ; ces mêmes racines qui exhalent un doux parfum, astringent et terreux, vivifiant, mystérieux et qui donnent au vétiver toute sa valeur puisque selon l’Ayurveda, les plantes puisent leur énergie, leur essence, de la Terre avant de la transformer en nourriture, en huile essentielle etc. pour que les Hommes puissent en profiter.
A ce titre, on comprend bien le lien entre les racines profondes et fragrantes du vétiver et les racines spirituelles de l’être en quête d’ancrage car bien oui, celui qui n’est pas fermement enraciné en terre ne peut grandir. Ses racines, si elles ne puisent pas assez profondément, finissent par ne plus rien tirer de la terre alors elles flétrissent, elles pourrissent – l’arbre meurt. Le rôle du vétiver n’est donc pas tant d’ancrer pour ancrer, mais d’ancrer pour mieux s’élever – on n’envisage pas d’effort spirituel sans gain. C’est donc sans surprise que les méditatifs apprendront que dans le tantrisme, cette plante est associée au muladhara chakra, le chakra racine traditionnellement représenté par la fleur de lotus qui commande notre évolution ou dévolution, le fondement de notre être et de notre devenir qu’il soit bon ou mauvais.
Car le vétiver ne sert pas qu’à mais aussi à réguler. Son huile est réputée apaisante, calmante, relaxante – elle tempère les ardeurs, elle corrige la dureté de cœur. La Chine voit d’ailleurs dans le vétiver une plante à « vibration » yin, tempérant la chaleur d’un tempérament trop énervé. On pourrait s’en étonner mais le vétiver a de véritables qualités rafraichissantes : depuis des générations, on utilise ses racines en Inde pour fabriquer des rideaux, stores ou paravents que l’on asperge d’eau lors de fortes chaleurs afin que l’air chaud qui dessèche le corps et écrase l’âme, passant à travers les mailles de vétiver, se transforme en une brise rafraîchissante qui sort l’être de sa torpeur estivale.
L’Ayurveda, peut-être plus que toute autre tradition, accorde une grande importance aussi au vétiver. De la même manière, on y dit que le vétiver corrige, tempère, équilibre le caractère et les émotions. Plus particulièrement, le vétiver agit sur le dosha vata, qui est principe de mouvement, de dynamique –principe de vie. C’est lui qui agit sur la respiration, le bon fonctionnement du corps. C’est lui qui impulse, qui propulse le corps et l’esprit dans l’avenir, dans l’ailleurs afin d’appréhender le monde sous des angles nouveaux. Un déséquilibre et tout s’effondre : la peur, les tremblements, la fatigue, l’insomnie. Comme l’arbre dont les racines cessent soudain de grandir, l’être déséquilibré en vata s’essouffle, s’épuise avant de pourrir à défaut d’avancer ou grandir.
Le vétiver, ainsi, rétablit l’harmonie perdue. Symboliquement, il est la racine mais il est aussi la sève dont la racine est remplie.
Ce qui nous amène à notre dernier développement, sur son sens kabbalistique.
La Kabbale en effet associait le vétiver à la sephira Guebourah. D’elle émanent la rigueur, la justice, la droiture, le sentiment de vengeance et le châtiment. Là où la sephira Hesed est la compassion et la miséricorde –le bras droit de YHWH- Guebourah est son bras gauche, celui tenant le glaive à deux tranchants. Certes, cela peut paraître contradictoire avec le reste de notre développement mais il faut en vérité comprendre Guebourah comme étant, non point le châtiment cruel, mais la juste justice. C’est la limite protectrice, analogue à la Loi qui protégeait le croyait, à celle qui aujourd’hui protège le citoyen. Guebourah est la force tempérante, rétablissant l’équilibre là où il y avait déséquilibre. C’est la rigueur de la raison devant la permission de la compassion.
Cette tension constante entre Hesed et Guebourah, entre Amour et Justice, est la raison même de la croissance. C’est parce que l’arbre a soif qu’il enterre ses racines plus profondément et c’est parce qu’il peut étancher sa soif qu’il continue de grandir. Cet antagonisme inné, analogue à celui du Yin et du Yang, aux pulsions Eros et Thanatos, à la volonté d’amour et de domination, à la volonté divine et diabolique, à l’altruisme et à l’égoïsme ; cet antagonisme est bien le fondement de toute croissance. C’est le combat alchimique dans l’athanor, entre le Lion et l’Aigle, entre le soufre et le mercure, afin de parvenir à l’équilibre de la pierre philosophale.
Le vétiver pacifie les cœurs énervés. Il tempère la passion quand celle-ci embrume la vision et l’esprit. Le vétiver, ce calme placide, ne serait-il pas finalement le chemin vers Tiphereth, vers l’harmonie ?
Devant ces considérations, il est impossible de ne pas se remémorer le verset du psaume 85 : « Justice et Paix s’embrassent. La vérité germera de la terre. » Car enfin, mes chers amis, la vérité de l’Amour, la réalité de l’Harmonie vécue dans sa chair, ne peut exister que si elle est ancrée profondément en terre.
Arbre de Vie,
Arbre d’Amour.
Vétiver…