Qetoret : l'encens du Roi Salomon

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Mes fous en sens,

 

De même que nous avons ouvert notre série de chroniques par un encens –que vous trouverez ici si vous ne l’avez pas encore lue- nous avons voulu ouvrir notre série d’Aperçus par –vous l’aurez deviné- un encens et pas n’importe lequel car il s’agit ici du Qetoret, l’encens de Yahvé que l’on brûlait quotidiennement, soir et matin, à raison de cinq kilos par jour, au Temple de Jérusalem avant sa destruction en l’an 70 après Jésus Christ et dont le parfum embaumait l’air, disait-on, de Jérusalem à Jéricho.

 

C’est dans un passage de l’Exode qu’apparaît pour la première fois la recette de Qetoret : « Le Seigneur dit à Moïse : « Procure-toi des aromates : baume, ongle aromatique, galbanum, divers aromates et encens pur, en parties égales. Tu en feras un encens parfumé qui soit salé, pur et saint. C’est une œuvre de parfumeur.” Et plus loin: “ L’encens composé selon cette recette, vous ne l’utiliserez pas pour votre propre usage : il sera saint, réservé au Seigneur.”

 

Le lecteur serait tenté de se demander l’intérêt d’un tel article alors que la recette paraît si clairement indiquée. Or c’est là que l’affaire se gâte –pour notre plus grand plaisir.

 

La Bible, depuis sa genèse, est le fruit d’une synergie entre tradition écrite et tradition orale. A l’Ecriture s’ajoutent les traditions orales observées siècle après siècle par des générations de prêtres et de fidèles, lesquelles finirent par être compilées. Cette Tradition, cette oralité vivante nous apprend qu’aux quatre ingrédients susnommés s’en rajoutaient sept, pour un total de onze ingrédients. Comme tous les chiffres bibliques, celui-ci est revêtu d’un sens ésotérique que nous n’aborderons pas, pour ne pas dévier de notre sujet.  

 

Il est aujourd’hui assez difficile de savoir quels étaient les ingrédients exacts entrant dans la composition du Qetoret car une seule famille avait la charge de le fabriquer et elle s’est éteinte avec ses secrets. Depuis ce sont des générations de rabbins et de mystiques qui se sont opposés leurs avis sans trouver de consensus. L’objet de cet article est de synthétiser nos années de recherches sur le sujet et de faire ressortir ce que nous pensons être l’authentique recette du Qetoret.

 

Le premier ingrédient dont il est fait mention est le baume. Si aujourd’hui le baume nous renvoie au baume du Pérou ou de Tolu, c’était loin d’être le cas à l’époque. Le rabbin Siméon ben Gamliel soutient qu’il s’agit de la résine de l’arbre à styrax tandis que Maïmonide pense qu’il s’agirait du baume de Gilead, ou baume de la Mecque, introuvable désormais. Notre opinion est qu’il s’agirait soit de la résine liquide que l’on trouve parfois dans les gouttes de myrrhe qui se forment sur l’arbre, soit du storax, au parfum collant et vanillé. Le baume, parfois appelé tsori, fait allusion à la Torah qui est comme un baume de l’être et aussi à l’Amour généreux et enveloppant de Dieu à l’égard de Ses enfants.

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Le second ingrédient, l’ongle, soulève plus de questions. Deux hypothèses sont parmi les plus plausibles. La première est qu’il s’agirait de l’opercule d’un mollusque endémique de la Mer Rouge et dont la forme ferait penser à l’ongle d’un lion –selon Abraham de Porta Leone. Cette théorie a néanmoins été contestée par plusieurs chercheurs partant du fait que les mollusques étant impurs, ils n’auraient aucunement pu être utilisés dans la fabrication de l’encens de Yahvé. Ils pensent au contraire qu’il s’agirait du labdanum, le terme shecheleth –à rapprocher de l’hébreu shehor c’est-à-dire noir- étant traduit par onycha –à rapprocher de l’onyx, une gemme noire- mais aussi par labdana en arabe. La racine de shecheleth signifiant « goutter » ou « distiller » il semblerait que shecheleth fasse référence à une exsudation, ceci étant corroboré par l’étymologie syriaque du même terme. Pourtant, nous croyons qu’il s’agit bien de l’ongle marin et non du labdanum, puisque la recette du Qetoret cite en sus des ingrédients odorants du savon de Karshina, du vin de câpres –souvent traduit par vin de Chypre – et du sel de Sodome, lesquels ont pour unique vertu de nettoyer la fameuse coquille de ses impuretés –ce qui n’est pas nécessaire avec le labdanum. Qui plus est, lors de nos nombreuses virées dans les souqs du Moyen Orient, nous avons souvent rencontré ces fameuses coquilles vendues spécialement pour la fabrication de l’encens, attestant de son utilisation à ces fins. Enfin, il est bon de notre que l’onycha rappelait symboliquement la majorité du peuple hébreu, pur et sans tâche à l’intérieur mais souillé à l’extérieur, qu’il fallait nettoyer par le moyen de la repentance –le savon de Karshina- et fortifier par les arcanes secrètes de la Torah –le vin- afin de le rendre ferme dans sa foi, ce qui nous laisse bien à penser qu’il ne s’agissait pas du labdanum.

 

Le troisième ingrédient est le galbanum. Tous les commentateurs s’accordent à dire qu’il s’agit ici du galbanum que l’on connaît et dont le seul intérêt est d’avoir une odeur désagréable en brûlant, laquelle rappelait les pécheurs du peuple hébreu et dont la prière était associée à celle du reste sans tâche –symbolisé par l’onycha. Faisant le lien avec la dimension cosmique et esotérique de la Qetoret, Aryeh Kaplan a émis l’idée selon laquelle le galbanum signifierait symboliquement la transformation du mal en bien par son élévation –ou retour- à sa source originelle. Cela est en lien avec l’idée de repentance et de sacrifice d’encens effectué pour « lever » une malédiction.

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Le quatrième ingrédient –qui n’en est pas un- est l’encens. L’oliban ici fait référence à l’amour de Dieu pour ses enfants par lequel il lave leurs péchés.

 

Nous arrivons maintenant au plus intéressant. Les « divers aromates » cités, dont la tradition a établi qu’ils étaient les suivants : de la myrrhe, de la casse, du nard, du safran, du costus, de l’écorce aromatique et de la cannelle. Comme vous l’aurez remarqué…ce ne sera pas si simple.

 

En ce qui concerne la myrrhe, si certains pensent qu’il s’agit de la racine des arbres commiphora, Maïmonide et d’autres à suite soutiennent, étonnamment, qu’il s’agirait en fait…de musc tonkin. Nous sommes d’autant plus d’accord avec ces derniers que dans le cas où le baume serait en fait de la myrrhe, il serait étrange de la voir mentionnée deux fois, sans compter que le musc tonkin rentre étonnamment dans la préparation du Saint Chrême de Constantinople, dont la recette était en partie dérivée…du Qetoret.

 

Si certains pensent que cassia fait référence à la casse que l’on connaît, Flavius Josèphe émet l’hypothèse, plausible compte tenu de la rareté de l’ingrédient, qu’il s’agirait d’iris.

 

Il fait bon de parler du nard. Cet ingrédient, on le sait, est un des plus symboliques de la Bible. Cité dans le Cantique des Cantiques et surtout dans le passage maintenant célèbre de Marie Madeleine lavant les pieds du Christ avec ses cheveux et les parfumant d’une jarre entière de nard odorant. Ce nard est très certainement celui que nous connaissons aujourd’hui comme nard de l’Himalaya ou nard jatamansi.

 

Il n’y a aucune ambiguïté sur la nature du safran et du costus.

 

L’écorce odorante est probablement celle de la cannelle. Le terme anglais pour la désigner est d’ailleurs « cinnamon bark » à savoir « écorce de cannelle ».

 

Quant à la cannelle…c’est loin d’être si simple. Si certains ont estimé qu’il s’agissait de cannelle, Maïmonide –encore lui- parle de bois indien ou plutôt de « oud indi ». On serait tentés de croire à une farce laissant l’oud aux émirs du Golfe, pourtant –on le verra dans un autre aperçu- l’oud était déjà utilisé dans beaucoup de rituels funéraires à l’époque. Nous y croyons aussi car le bois d’oud entre dans la composition du Saint Chrême de Constantinople –le même qui requiert l’ajout de musc tonkin. 

 

A ces ingrédients s’ajoutait une herbe, le maaleh ashef dont le seul but était de faire monter la fumée en une colonne droite devant l’Arche d’Alliance. Cette herbe, secret le mieux gardé des Avtinas –les fabricants de Qetoret- est pense-t-on une des parties de l’arbre

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Onze ingrédients pour créer un encens mystique, transmutant le mal en bien, s’élevant en louange à Yahvé ; onze ingrédients symbolisant le trésor sans prix, la connaissance de Dieu –le nombre dix symbolisant la complétude. Onze ingrédients dont un sentant mauvais ; une mauvaise odeur devenant parfum spirituel une fois mélangée aux autres, nous apprenant quelque chose de la repentance – car sans repentance, la prière s’élèvera comme un sacrifice de mauvaise odeur.

 

Le Qetoret, en apprenant aux fidèles la repentance, dit beaucoup de l’humilité, de la vie. Le trésor au dessus des trésors, la connaissance que Dieu a de Lui-Même et de Son œuvre, ne serait-ce rien d’autre qu’une parfaite humilité ? Se pourrait-il que ce soit la clef pour comprendre le monde ? Pour comprendre nos vies ?

 

Amour et humilité…