Symboles du Labdanum

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Mes fous en sens,

 

Notre aventure de cette semaine se portera sur une matière encore une fois énigmatique. Nous voulons parler, à la suite de notre Critique de Paredolia, du labdanum. Il faut avouer qu’entre l’ambre, le ciste-labdanifère et le labdanum ; qu’entre les absolues, les huiles essentielles, les résinoïdes et les accords, il y a de quoi être déboussolé.

 

C’est afin de remettre les boussoles au clair et les pendules à l’heure que nous avons entrepris de rechercher le sens et même la saveur –ainsi que Rabelais l’aurait dit- de cette matière première aux origines même de la parfumerie. Ingrédient phare des encens d’Orient, prenant place première dans les recettes de philtres magiques ; assimilé tantôt à l’ambregris, tantôt à la myrrhe ou à l’onycha salomonique, le labdanum ne cesse de soulever des questions sans apporter de réponses.

 

Aussi, mes chers fous, allons ensemble découvrir les origines de cette matière et écoutons le message qu’elle a à nous dire. Des confins des îles grecques jusqu’aux temples égyptiens, laissons-nous porter par la fragrance baumée et boisée de la résine la plus incontournable de l’histoire du parfum et explorons les Symboles du Labdanum.

 

Notre enquête débuta à partir d’un constat simple il y a quelques mois. Tous nos parfums préférés se trouvaient être bâtis autour d’un accord de labdanum. C’est cette résine qui guida nos choix parfumés et qui nous donna de rencontrer une personne que nous pouvons aujourd’hui compter comme notre meilleure amie. Cette puissance organique, loin d’être anodine, éveilla notre curiosité et, après beaucoup de sollicitations de votre part, nous avons décidé de relever le défi il y a quelques mois et de venir à bout de ces questions sans réponse.

 

L’histoire du labdanum commence en Grèce à l’ère antique mais il convient d’abord de préciser la nature de cette matière. Le labdanum est une résine issue d’un buisson que l’on nomme ciste. Celui-ci pousse en divers endroits autour de la Méditerranée mais c’est bien en Crète que sa culture est la plus ancienne. Hérodote en parlait déjà dans ses Histoires, précisant la méthode très particulière que les bergers avaient de récolter le labdanum. En effet, il était alors d’usage de récolter la résine sur le pelage des chèvres et boucs qui aimaient à se frotter contre les buissons de ciste.  Hérodote précisait même qu’on le « récupérait dans la barbe des chèvres auxquelles il restait collé. »

Si on a ici la mention la plus ancienne du labdanum, il n’en est pas ainsi du ciste. Celui-ci nous fait même voyager trois siècles plus tôt et nous porte ainsi au VIIIème siècle avant J.C. En ce temps-là, Hésiode écrivait sa Théogonie et relatait le mythe, désormais célèbre, de la gorgone Méduse. Selon sa version, cette dernière aurait vécu sur l’île légendaire de Cisthène. C’est là, dans un bosquet de cistes, qu’elle aurait été séduite par Poséidon, la plante donnant son nom à l’île. C’est aussi ici que jaillissaient les neuf sources du fleuve Oceanus qui encerclait le monde des vivants et le séparait de celui des morts et des dieux ou, comme le disait Quintus de Smyrne, que « la nuit dans l’Occident lointain rencontre le Soleil levant ».

 

Ce qui paraîtrait anecdotique est bien loin de l’être car Poséidon, par cet acte, a posé la base de ce que deviendrait symboliquement le labdanum au fil des siècles et à travers les cultures. Mais a t-il vraiment été le premier à s’associer au labdanum ?

 

Par cet acte d’union –maudit par Athéna qui transformera Méduse en la créature monstrueuse que nous connaissons- Poséidon affirme son amour du labdanum et son lien à la sexualité car bien avant que d’être le simple dieu des mers que nous connaissons, Poséidon était une divinité liée à la fécondité. Son nom, que l’on pense signifier « mari des mers » le lie à Déméter, « mère de la terre » et déesse de la fertilité. Des siècles durant et jusqu’à notre époque, le labdanum se verra associé à l’eau et à la sexualité, devenant ainsi la matière première la plus adaptée aux Scorpions.

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 Pourtant, Poséidon n’est pas le premier dieu à associer le labdanum à la sexualité mais pour le savoir, il nous faut remonter quinze siècles auparavant et traverser la Mer Méditerranée pour nous intéresser à une divinité assez particulière : Min.


Dieu égyptien probablement prédynastique, Min est une figure ityphallique présidant à la fertilité. Si le lien ne paraît pas particulièrement clair entre ce dieu au pénis turgescent et le Poséidon homérique, c’est parce qu’il est symbolique et dilué en un symbole qui aura passé inaperçu pendant des millénaires : le fléau. Car bien oui, Min est toujours représenté tenant ce qui semblerait être un fléau, celui-là même que tenaient les pharaons.


Pourtant, certains chercheurs ont émis la thèse selon laquelle cet instrument symbolique ne serait pas celui qui sépare le bon grain du mauvais mais…un ladanisterion, l’instrument traditionnellement utilisé pour récolter du labdanum à même les buissons. Ce même fléau est celui que portera plus tard Osiris, le dieu central des cultes égyptiens qui aura absorbé certains aspects de Min et surtout son lien à la fertilité.

 

Mais alors pourquoi Osiris, Min et le pharaon tiennent-ils un ladanisterion ?

 

Deux théories semblent les plus plausibles. La première voudrait que le fléau/ladanisterion représente sa générosité, sa « fertilité » et sa capacité à faire prospérer et fructifier les œuvres de son pays ; l’autre théorie soutient qu’il représente sa capacité à protéger son peuple, en séparant le bon grain du mauvais. Si la première rejoint la symbolique hellénistique du labdanum, la deuxième nous apporte un éclairage nouveau.

 

Cette séparation du bon et du mauvais grain peut-être perçue comme celle séparant les bonnes des mauvaises œuvres. Car le labdanum, en plus d’être associé au fléau d’Osiris et de pharaon, se retrouvait aussi dans leurs fausses barbes qui ne servaient étrangement qu’à signifier leur divinité. Nous comprenons ainsi que le labdanum, bien plus qu’être le simple symbole d’une fécondité humaine, était perçu comme la manifestation olfactive d’une forme d’union entre les hommes et les dieux portant de nombreux fruits.

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N’oublions pas en effet qu’Osiris, loin d’être simplement le dieu de la fertilité, était le Passeur d’Âmes. C’est lui, le « maître de vie » dans la « barque de la nuit » selon le Livre des Morts ; c’est lui le «Khenti-Amentiu », le premier des Occidentaux c’est-à-dire le gardien de l’après-vie. Cet Occident, ne serait-il pas celui de la mythique Cisthène, « dans l’Occident lointain » ?

C’est Osiris aussi qui présidait au jugement des morts où l’on séparait les bonnes actions des mauvaises ; à lui que les pharaons s’identifiaient dans la vie afin d’être identifiés à sa résurrection après la mort. C’est lui aussi qui encercle la Douât, ce lieu où séjournent les âmes des défunts en attente de leur résurrection.

 

Ce qui nous ramène à Poséidon, dieu des mers et de la fertilité mais bien plus que cela.

 

Sa première mention est à Mycènes où Posedao était une divinité primordiale et chtonienne, puis dans les hymnes orphiques où il apparaît comme « l’Ébranleur du Sol », l’origine des tremblements de terre. Poséidon, comme Osiris, se trouvait régner sur un lieu étrange entre Terre et ciel, des cieux intermédiaires. Parce qu’il domine Océan, le fleuve entourant la Terre, Poséidon la tient entre ses mains et tient empire sur les cieux entourant la Terre où les âmes justes attendaient leur réincarnation. 

 

Poséidon préside aux tremblements de terre en ce que la mer est, d’un point de vue platonique, le lieu de l’instabilité et des changements. C’est lui le démiurge qui préside à l’âme tandis que Zeus veille sur l’intellect. Nous retrouvons alors ce lien entre Terre et Ciel ou plutôt entre Mer et Ciel que nous avions établi en étudiant l’ambregris au prisme de la Kabbale, dont le labdanum est un substitut à ceci près que le labdanum n’est pas un retour en nous-même mais le lieu de ce retour, de cette métanoia.

 Sous l’égide de Poséidon, le labdanum est le lieu du passage et sous celui d’Osiris, il est le passage de l’humanité à la divinité ; il est l’action qui sépare le bon grain du mauvais, qui retranche les actions mauvaises de celles vertueuses. Il est la résine qui parfume l’âme d’un parfum suavement spirituel et la prépare, en y mettant le grain de la vertu, au passage dans l’au-delà des justes.

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Le labdanum, bien loin d’être symbole d’une fertilité purement sexuelle, est bien celui d’une fécondité spirituelle. Il appelle à changer ses voies, à faire de la mer stérile une mer fertile, à se conformer au chant de notre âme en abandonnant en-dessous de nous l’appel des sirènes enfériques, des créatures de l’Hadès où demeurent les âmes en peine.

Avec Osiris et Poséidon, le labdanum métamorphose l’Océan, n’en faisant plus le lieu de l’instable mais de la transformation ; plus celui du regard pétrifié de Méduse mais de l’œil vigilant de celui qui surveille son âme devenant ainsi la clef d’un passage, d’une Pâque personnelle de l’humanité à la divinité…

Ambre de l’âme

Au parfum du Dieu-Eau -

Je renais.