Olivia Bransbourg - La Passionnée

- Olivia Bransbourg by Kanak Guo

- Olivia Bransbourg by Kanak Guo

Croire au hasard des rencontres. C’est sans doute ce que nous a fait comprendre notre Entretien avec Olivia Bransbourg, créatrice des marques Attache-Moi et Sous le Manteau, à l’occasion du lancement ce jeudi de sa boutique éphémère sur la prestigieuse Madison Avenue de New York. Femme emblématique à elle seule, rédactrice en chef d’ICONOfly, directrice artistique chez Takasago, à la fois historienne de l’art et mélomane, Olivia Bransbourg assume pleinement une dizaine de casquettes différentes avec une énergie débordante et une sympathie désarmante. C’est le hasard des rencontres qui nous a mené à la rencontrer, à nous entretenir avec elle. Un sain et saint hasard qui fera de cet Entretien un des plus beaux moments de cette année.

[Les Entretiens de l’Avent sont une série d’entretiens centrée sur la Femme. Quatre femmes, quatre parcours exceptionnels, quatre chemins partant ou menant au parfum. Nous avons choisi à cet effet quatre femmes aux parcours et carrières différents, en lien avec le parfum. Car les femmes sont sous-représentées. Car elles n’occupent pas la place qu’elles mériteraient. Car elles sont la matrice de toute vie, de toute humanité. Car elles sont de plus en plus présentes dans le monde des parfums. Car leurs histoires sont des leçons de vie qui se doivent d’être parlées. Qui se doivent d’être écoutées]

Alexandre Helwani – Olivia, vous avez eu un parcours pour le moins brillant, étonnant. Rédactrice en chef du magazine ICONOfly, avant un passage chez Takasago New York en tant que directrice artistique, vous avez aussi lancé deux marques de parfums : Attache-Moi puis Sous le Manteau. Comment est née l’idée de passer de la presse au parfum ?

 

Olivia Bransbourg – Tout est parti de mon magazine ICONOfly. Je travaillais en 2009 à un numéro dédié aux bracelets, dans toutes leurs métamorphoses, culinaires, littéraires, photographiques, historiques etc. et j'ai alors rêvé d’un parfum qui murmurerait, tel un bracelet : «Attache-moi ». Ce sont les parfumeurs Christine Nagel et Benoist Lapouza qui lui ont donné ce souffle et le sculpteur de flacons Serge Mansau qui lui a donné corps. Au tout début je n’imaginais pas plus qu’une édition limitée pour ce bracelet devenu parfum. Mais séduit par le projet, Serge Mansau a conçu huit précieux bracelets en verre soufflé recouverts de feuille d’or. Le Bon Marché a entendu parler de ce projet, a demandé à me rencontrer et une exposition d’un mois a eu lieu pendant l'été 2009. A leur demande, j’ai conçu une version plus accessible du parfum et ai imaginé des flacons sans prétention ficelés par des rubans. A mon grand désarroi je devais quitter Paris quelques semaines plus tard, je partais vivre aux Etats-Unis pour des raisons liées aux recherches de mon mari. Donc au moment même où je célébrais l'exposition au Bon Marché, tout partait dans des containers. Sept ou huit mois après mon arrivée, coup de fil du grand magasin Barney’s New York me disant « On a découvert votre parfum, c’est fait pour nous, peut-on le lancer aux Etats-Unis ? ».  Là j’ai travaillé avec une usine de conditionnement à Grasse qui m’avait été recommandée par Nathalie Feisthauer et ça a cartonné. Fin 2010, 2011, 2012, Attache-Moi faisait partie des bestsellers de la parfumerie de niche de Barneys avec des pleines pages, et des vitrines où il y avait les plus belles marques du moment telles Frédéric Malle et Le Labo. Comme le parfum marchait bien à New York, j’ai voulu le diffuser à nouveau à Paris et ai rencontré Charlotte Tasset, qui était alors en train de repenser toute la Belle Parfumerie du Printemps.  Elle m’a dit « Ton parfum est splendide mais c’est trop petit pour mes étagères. Par contre j’aime beaucoup ton magazine, tu as six mois, est-ce que tu peux m’en faire un sur les parfums ? » J’ai donc eu six mois pour interviewer Jean-Claude Ellena, Serge Lutens, Thierry Wasser, François Demachy, Frédéric Malle, remonter l’histoire du Parfum depuis l’antiquité, rencontrer des personnalités formidables comme Annick Le Guerer et ça été réellement un rêve. D’un seul coup je me suis immiscée dans le monde du parfum du côté des parfumeurs, du laboratoire, des matières premières – ce que je n’avais jamais fait jusqu’à présent. Au lancement de ce numéro en octobre 2011, une personne de chez Takasago est venue, Arnaud Roche. J’avais eu l’immense joie de travailler avec lui au moment de mon premier parfum Attache-moi et étais restée en contact avec lui. Il m’a demandé de l'aider pour un projet de six mois aux Etats Unis et il m’a donné l’unique chance de travailler avec de formidables parfumeurs, Françoise Caron, Francis Kurkdjian, Jean Jacques, Antoine Lie etc … Nous avons finalement gagné le projet et je suis devenue la directrice artistique de leur laboratoire à New York. J’y ai passé trois ans à créer des parfums pour pas mal de marques, essentiellement dans la parfumerie de niche et surtout à beaucoup m’amuser d’un point de vue créatif. Au bout de trois ans j’ai pris la décision de quitter Takasago et de relancer ma revue pour un numéro spécial NY pour lequel j’ai rencontré l’artiste britannique Shezad Dawood qui voulait faire partie du numéro, on s’est mis à parler de parfums et il m’a dit « Je vais sortir un court-métrage, j’adorerais en avoir la transcription olfactive ». On a donc créé It was a time that was a time, une vraie collaboration entre lui et Nicolas Bonneville, qui a été inaugurée dans ce centre d'art de Brooklyn en face de la statue de la Liberté, Pioneer Works. Il y avait du parfum qui était diffusé en permanence pendant trois mois, donc on rentrait dans cette atmosphère là, c’était magique. Mais comme pour chacun des magazines, j’arrivais tout juste à équilibrer les coûts et ne gagnais pas assez d’argent et là mon mari m’a dit : « Ca suffit, à chaque fois tu passes six mois à bosser corps et âme » et au même moment j’ai fait la rencontre d’une personne qui est aujourd’hui mon associé sur Sous le Manteau.

 

A.H. – On dirait que le hasard de vos rencontres vous a beaucoup guidée.

 

O.B. - On a lancé la marque fin 2016 mais le 1er Octobre 2016 il y avait la Nuit Blanche à Paris qui honorait un incunable fin XVème siècle, le Songe de Poliphile, autour des rencontres amoureuses. Des amis artistes, Jean-Luc Ferrari et Estelle Delesalle avaient été choisis par le commissaire de la Nuit Blanche et directeur du Palais de Tokyo Jean de Loisy pour s’approprier la passerelle Debilly afin d'y « réparer les cœurs brisés ».  Ceux-ci nous ont invité Nathalie Feisthauer et moi à faire découvrir nos philtres d’origine et leur version modernisée. Nous avons alors mis au point ce questionnaire – qui est sur notre site - et qui, en sept questions, vous donne une idée du parfum qui serait le plus approprié pour vous. Ce 1er octobre 2016, de 19h à 7h, nous avons réparé les coeurs brisés, initié des rencontres, créer des instants très beaux. On avait juste imprimé des petites fiches, les gens répondaient, je regardais la feuille, je la donnais à Nathalie qui diagnostiquait puis comme on ne pouvait rien donner, on sprayait le parfum sur le poignet de la personne. Et là ça a été magique. La plus belle expérience fut autour de 4h du matin. Il faisait un froid glacial, est arrivée alors une bande de jeunes un peu crâneurs avec leurs blousons de cuir qui sont passés qui avaient l’air de n’en avoir rien à faire et plus tard il y en a un qui est revenu pour faire le test. Il s’est retrouvé avec Essence du Sérail et d’ailleurs il y a grand engouement pour ce parfum, on sait que des gens se font suivre dans la rue pour son sillage. Et donc ses copains l’ont charrié mais une demi-heure après ils sont tous revenus et ils ont tous fait le test. Et on s’est dit qu’on allait les lancer nos cinq parfums, et non pas deux ou trois comme initialement prévu, parce qu’ils étaient tous différents et on voulait impérativement garder ce test, qui est sur notre site.

 

A.H. – La genèse de votre marque Sous le Manteau est aussi due au hasard, n’est-ce pas ?

 

O.B. – Tout est parti quand j’ai déniché un traité d’officine du XIXème siècle chez un antiquaire et que j’y ai découvert une recette de parfum aphrodisiaque. Je viens d’une famille où il y a quatre générations de médecins et chirurgiens et tout est toujours très réglé et de trouver dans ces traités de médecine et de pharmacie des recettes de philtre d'amour cela m’a interpelée. Et je me suis dit : « J’y crois, je n’y crois pas, ça m’est complètement égal, je veux voir ce que c’est» et ça a été la raison qui a motivé mon rapprochement avec Nathalie puisque je voulais travailler avec elle depuis des années. Il était bien évident que Nathalie, devenue indépendante, qui aimait la cuisine, les ingrédients, était la personne idéale pour mener à bien ce projet. Je lui ai envoyé les cinq premières recettes trouvées dans le traité en lui demandant de les reproduire à l’identique – je pense qu’elle m’a un peu maudite à l’époque. En les découvrant dans ces traités je me suis intéressée à la manière dont elles y étaient arrivées et j’ai fait un peu de recherches. J’ai trouvé des choses magnifiques sur un édit impérial de Charlemagne demandant à tous les cloîtres de cultiver 90 herbes et plantes indispensables. Dans d’autres ouvrages j’ai trouvé la liste des plantes aux vertus aphrodisiaques et anaphrodisiaques dans les carrés des simples. Il y a tout un travail d’historien à faire, qui est passionnant.

 

A.H. – Vous avez l’air d’aller au bout des choses pour ainsi dire.

 

O.B. – C’est ce que je disais à mes enfants : je me fous royalement que vous soyez médecins ou pâtissiers. Quoi que vous fassiez, je vous demande une chose, de le faire à fond et de toujours viser l’excellence. C’est la seule manière dans la vie de réussir, d’aller jusqu’au bout de son histoire.

 

A.H. – Pourquoi ce rapport fascinatoire à l’histoire ?

 

O.B. – Ce que j’aime, c’est l’idée de transmission. J’aime comprendre la filiation, c’est la même chose avec les formules d’apothicaire. J’étais à Madrid la semaine dernière pour lancer mes parfums et j’ai passé trois heures au Prado là j’ai découvert un tableau de Velasquez, un de ses derniers tableaux, Les Fileuses, et dans le fond du tableau il y a une scène de ciel avec des angelots et j’y découvre que Vélasquez a repris un élément de Rubens qui lui- même avait copié un tableau de Titien, qui lui-même regardait Raphael. Et je me suis dit : c’est la même chose en parfumerie, c’est la même chose partout. Dans votre interview avec Nathalie vous parliez de signature olfactive et de Jean Claude Ellena, que j’aime beaucoup. Et je lui disais il y quelques années qu’un soir je portais Angélique sous la Pluie et en disant bonsoir à mon fils, qui devait avoir 10 ans à l’époque, celui m’a dit « Maman, tu sens comme tes parents » et mes parents portent des Jardins d'Hermès. Je l’ai félicité en me disant, deux marques différentes mais il a reconnu la patte. C’est ça le génie : quand on voit l’indicible.

 

A.H. – C’est essentiel pour vous, pour vos collaborations, cet indicible rendu visible ?

 

O.B. – Le bijou que je porte, c’est une collaboration avec un designer qu’on va lancer à New York, qui est extraordinaire, Jaimal Odedra. Je l’ai rencontré il y a un peu moins d’un an, grâce à un autre ami très proche du monde de la parfumerie, Jean-Christophe le Grévès [créateur de la marque Thirdman]je lui ai fait découvrir les parfums et il a demandé à les garder tous les cinq et quelques jours après je recevais des croquis de cinq perles différentes. Elles sont en bronze, faites à la main, au Maroc et elles sont signées par l’artiste. Ce qui est d’autant plus amusant c’est que j’ai été interviewée par Madame Figaro Chine et ils m’ont envoyé leur photographe à New York qui m’a aussi demandé à photographier les parfums, il a touché les perles de bronze et il a tout de suite trouvé quelque perle correspondait à quel parfum. Et c’est la même chose avec Nathalie, avec Jean-Claude, avec Christine. Donc on va remettre les parfums en avant avec les photos et les bijoux à New York, sur Madison.

 

A.H. – Comment fait-on pour garder les pieds ancrés sur terre quand on passe autant de projet en projet ?

 

O.B. - Ils ne sont pas tellement sur terre. C’est terrifiant. Très souvent je me réveille la nuit. C’est toujours du complètement nouveau même si je commence à me dire que la boucle est bouclée parce que la même fascination pour un thème je la retrouve aujourd’hui avec Sous le Manteau.

 

A.H. – Dans ces vertiges, vous arrivez à conserver votre jardin intérieur ? Ou est-ce le prix d’une certaine liberté ?

 

O.H. - La liberté, j’en ai besoin. Quand vous écrivez, c’est chaque fois des sujets différents mais c’est votre paix intérieure. Effectivement il y a cette part de vertige qui me nourrit mais qui fait ma raison d’être. C’est formidable. Toutes les rencontres sont magnifiques, je ne me lasse jamais. J’aime les rencontres avec les artistes. C’est quelque chose qui vaut le coup de se battre dans ce monde. Il n’y a rien de pire que d’être muselée parce qu’on se perd soi-même. A partir du moment où l’on fait ce que l’on fait et qu’on l’on pense bien faire, il y a un moment où c’est récompensé. Il n’y a pas de compromis possible. Si ça ne me plaît pas ça ne se fera pas. C’est cette mise en vertige permanente qui est récompensée, comme tout créateur on passe par des hauts et des bas. J’ai la chance d’avoir un mari très solide qui me permet d’avoir un soutien. Je n’aime pas du tout faire comme les autres et je n’aimerais pas qu’on puisse me reprocher d’être allée sur les plates-bandes des autres. J’essaie de rester fidèle à moi-même. C’est ce que j’essaie de transmettre à mes enfants en leur disant faites ce que vous voulez, allez jusqu’au bout de votre projet et soyez fiers de ce que vous faites, n’ayez jamais à en rougir.