Mamaya
Amaya
par Dhaher bin Dhaher
pour Tola
Notre voyage olfactif de cette semaine nous portera en une terre bien loin des îles bretonnes. Nous irons cette fois-ci aux confins de l’Occident, aux portes du Levant. Nous voulions, en effet, initialement écrire la Critique d’Anbar de Tola afin de vous introduire à la magnifique marque de Dhaher bin Dhaher, personnalité remarquable, que nous avons interviewé la semaine passée.
Anbar car c’est l’histoire de notre rencontre avec ce parfumeur et son travail, l’histoire d’un hasard ou plutôt d’une coïncidence sans laquelle je ne vous parlerais sans doute pas de ce travail aujourd’hui. Néanmoins, suite à notre Entretien avec Dhaher, il nous a paru évident de l’introduire par la Critique d’une autre de ses créations, tout aussi personnelle : Amaya.
Amaya, c’est la mère. Pas n’importe quelle mère, c’est la mère de tous les orientaux. Amaya c’est la terre, c’est l’air, c’est le sillage, c’est la saveur, la poudre, l’odeur de ces mères – de nos mères du Levant. De nos mères d’Orient. De nos mères d’Iran.
L’odeur de leurs sourires, de leur silence, de leurs attentions ; c’est l’odeur de leur charisme, de leur robustesse, de la force d’âme qui les habite. C’est l’odeur de leur négoce, de leurs mains fines et blanchies par la poudre, brunies par le henné. C’est l’odeur de ces mains virevoltant en tous sens, étincelantes d’or et d’argent, pour négocier âprement un tapis, un parfum, une robe, un encens.
L’odeur de leurs abayas de soie, de leurs voiles bigarrés ; l’odeur de leurs tenues parfaitement taillées. C’est l’odeur de ces mères travaillant aux fourneaux, aux jardins, travaillant au bien-être des « siens » ; de ces mères humbles au front fier, à la volonté de fer, de faire, de plier, résister.
Amaya, c’est l’odeur de ces dignes héroïnes que nulle fable n’a contées ; l’odeur de leurs malices et de leurs talents cachés. L’odeur de leur rigueur, de leur amour, de leur maternité.
Amaya, c’est l’odeur de ces mères et de leur humanité.
L’odeur de ces princes que leurs ventres ont portés, de ces érudits, ces philosophes ; ces médecins, physiciens ; ces conteurs, ces poètes, ces parfumeurs, ces esthètes – que leurs ventres ont portés. C’est l’odeur de ces reines assises sur aucun trône, de ces fronts couronnés de nulle tiare que celle du don, de l’humilité, de l’amour, de la pauvreté.
Amaya, c’est la mère, c’est l’Orient. Le désert. C’est « maman ».
Amaya c’est cette vision que nous garderons de notre grand-mère. Nous étions à Damas, avant la guerre. Aux plus hautes lueurs du jour, il me souvient m’être assis au bord de la fenêtre qui donnait sur la cour. Il me souvient regarder ma grand-mère, pieds nus sur les tomettes chaudes, un grand manteau de mousseline vert émeraude sur les épaules, arrosant ses plantes à grande eau. Il me souvient l’odeur de la pierre échaudée rincée d’eau froide, de la terre et des feuilles et des fleurs de jasmin. Il me souvient l’odeur des murs de la cour, de leur couleur ; l’odeur de cette lumière du soleil filtrée par les plantes. Il me souvient l’odeur du sable et de la poussière damascène en plein été. Il me souvient l’odeur du café dans le salon, de la soie sur les divans.
Ma grand-mère porte sur elle le parfum des années 60. Amaya, c’est elle et ses tenues monochromes, ses vestes crème, ses chemisiers pastel. Ce sont ses bijoux à la mode damascène, à la mode d’il y a un siècle, hérités d’antan. Amaya, ce sont ses ors, ses émeraudes discrètes serties sur des dragons de vermeil. C’est son œil espiègle, son sourire discret, son rire frais comme la rosée de Lattaquié.
Amaya, c’est son port noble et altier. C’est son visage à peine fardé et son parfum de poudre, d’épices, de sucre et d’amour. C’est son port noble et altier, de ces femmes qui ne se laissent impressionner. De ces femmes de la terre, qui ont vu la guerre ; de ces femmes marquées par des vies que nul ne soupçonne ; de ces femmes ayant marqué la vie de ces villes millénaires que l’on assomme. C’est le parfum des héritières qui ne se laissent pas mourir dans l’indolence ; de ces riches femmes qui n’oublient point la souffrance – des hommes pauvres.
C’est le parfum de ces mères pieuses que l’on sait rieuses. De ces hiératiques matriarches qui se surprennent à chanter, en arrosant les roses et le jasmin, dans la solitude d’une cour damascène – sans savoir que le petit fils les observe.
On sous-estime trop le pouvoir des parfums. On oublie comme ils sont forts pour rappeler ces odeurs du passé. La puissance d’Amaya réside dans sa finesse et sa précision. Il réside dans la perspicacité de son créateur, Dhaher bin Dhaher ; dans son sens du futur et de la tradition. Dans son œil s’attachant à chaque détail, chaque parfum, chaque geste du rituel de sa mère, de ses soeurs, de toutes ces femmes se passant leurs trésors de génération en génération.
Amaya et son cœur de safran poudré. Amaya, sa saveur de sucre et de jasmin chauffé. Amaya, sa chaleur boisée, sa fraîcheur d’agrumes. Amaya, la terre, la mer, les dunes.
Quiconque le sentira s’y retrouvera comme en enfance car bien oui, Amaya c’est un parfum de nostalgie. Le parfum de ces vestiges détruits, de ces souvenirs enfouis. C’est, aujourd’hui, le parfum d’autrefois.
C’est un parfum d’amour maternel, une création qui vous procure confort et douceur sans rien négliger de son luxe ni de ses parures. Sans doute l’une des créations les plus touchantes de Dhaher bin Dhaher car toucher à la mère, c’est toucher au mystère. Dhaher l’effleure sans le dévoiler, il l’offre au monde avec pudeur – ce rituel de mère.
Un beau parfum, tant d’été que d’automne, car enfin Amaya,
Comme nos mères,
Est éternel.
Amaya - Tola
45ml - 225€
Disponible à Paris à la boutique Nose.
Pour plus d’informations, visitez leur site Web : www.tolaperfumery.com