Le Parfum d'Elisabeth I

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Mes fous en sens,

 

Notre dernière Critique nous a fait découvrir Poudre Impériale, sublime baume d’épices giroflées inspiré par une ancienne formule aphrodisiaque et c’est pourquoi nous avons souhaité nous intéresser, ce jour, à une autre poudre. Royale celle-là. Notre Aperçu nous mènera sur les traces d’une Reine, la plus glorieuse, la plus fardée ; sur les traces d’une cour de roses mêlées ; à la rencontre d’un astrologue et d’une histoire d’amour tissée sur toile de guerre ; sur les traces de la Reine Vierge, de la Victorieuse, de la Gloriana lumineuse ; sur les traces d’Elisabeth I.

 

Certains auront peut-être reconnu les derniers vers de notre Critique empruntés au poème qu’Elisabeth a écrit à l’occasion du départ du Duc d’Anjou. S’il est bien une chose qui ait caractérisé cette femme, c’est son rapport à l’amour. Reine vierge courtisée de toutes parts ayant jusqu’à la mort conservé, dit-on, sa virginité, le destin d’Elisabeth et ses amours opinent de l’épique au tragique. Figure de proue des Lumières anglaises à l’image du Roi Soleil en France, son long règne inaugura le renouveau de l’Albion qui sortait exsangue de ses guerres intestines.

 

Nous vous livrons en ce jour le portrait d’une femme qui par son esthétisme et les émoluments de son âme changea la face de l’Angleterre et aussi la face du monde. Ensemble, mes chers amis, allons à la découverte du Parfum d’Elisabeth I.

 

S’intéresser au parfum d’Elisabeth I, c’est s’intéresser à son entière dynastie car en effet, la fin de la Guerre des Deux Roses et le règne flamboyant d’Henri VIII marquèrent un tournant dans les mœurs anglaises, en particulier en ce qu’il s’agit de l’hygiène personnelle en ce que le parfum était moins perçu comme un luxe superflu qu’en un nécessaire pour survivre aux pandémies et aux miasmes pestilentiels s’élevant de la Tamise. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Henri VIII et Elisabeth, sa fille, préféreront tenir cour en des lieux éloignés de la capitale : Hampton Court pour le père, Richmond pour la fille.

 

C’est à Hampton Court qu’Henri VIII donnera ses lettres de noblesses au parfum en rénover la tour du Bain et, comble de l’extravagance, en y faisant installer des robinets d’où coulait une eau pure puisée à la source Rosamund mais c’est bien Elisabeth I que l’on garde dans les mémoires comme l’instigatrice d’une cour parfumée.

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 Il convient de remarquer qu’en dépit de ce que l’eau était perçue comme impure, l’Angleterre des Tudor qu’elle soit noble ou de petite bourgeoisie avait pour habitude de se laver. De cette époque nous sont parvenues des recettes de lotions, de savons et même des méthodes pour se préparer des bains de vapeur qui consistaient à faire bouillir de grandes quantités d’eau de rose mêlée de parfums.

 

Quelle donc est la nouveauté apportée par Elisabeth ? Et pourquoi parler de ses amours lorsqu’il s’agit de s’arrêter sur son parfum ?

 

La réponse est simple bien qu’aussi complexe que le personnage qui nous intéresse. Nous connaissons d’Elisabeth son surnom de Reine Vierge qu’elle assuma vers la seconde moitié de son règne mais nous connaissons aussi sa légendaire coquetterie et son amour de la vie. C’est Elisabeth qui introduisit la vanille en cuisine, l’aimant tant qu’elle ordonna qu’on en mît dans chacun de ses plats. C’est elle aussi qui aimait tant le sucre qu’elle en perdit toutes ses dents. C’est elle encore qui au crépuscule de ses jours, fit retirer tous les miroirs de son palais afin de ne pas croiser son reflet.

 

Elisabeth I était une femme courtisée par le monde et honnie par l’Église qui lança contre elle ce qui fut peut-être la dernière croisade d’Europe. Elisabeth I dut s’imposer sur un trône qui ne devait point lui échoir, composant avec une sœur Marie Tudor, qui la fit emprisonner et presque tuer ; avec un père qui décapita sa mère ; avec un parlement qui la défiait et un peuple qui complotait à outrance et attenta plusieurs fois à sa vie.

 

Il apparaît assez tôt dans ses écrits qu’elle ne voulut être la femme d’aucun homme allant jusqu’à dire : « Il n’y aura qu’une reine ici et aucun roi » cependant, on le sait, Elisabeth se laissa longuement courtiser par des hommes hauts en couleur, courtisans ou corsaires, se laissant même séduire par le fils de son premier amant. C’est incidemment par un de ces amants, le Comte d’Oxford, qu’Elisabeth lancera une mode bien connue en France – celle des gants parfumés.

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En l’an 1565, ce galant homme entreprit de parcourir la plaine du Pô et c’est ainsi qu’en 1566, il revint en Angleterre les poches pleines de trésors et parmi eux une paire de gants parfumés de Venise qu’il offrit à Elisabeth, sa bien-aimée. Celle-ci s’enticha tellement du « parfum de mon sire d’Oxford » qu’il en devint populaire. L’on trouvera dès lors partout en Angleterre, des décoctions et savons parfumés au « parfum d’Oxford ».

 

La Reine fit installer des parfumeurs vénitiens à sa cour qui se trouva vite remplie de la fragrance des pommes d’ambres et de parfums à la rose, à la civette et au benjoin. L’ambassadeur vénitien à Londres écrira à son Doge qu’Elisabeth prenait « le bain une fois par mois qu’elle en ait ou non le besoin » mais ce sont bien les gants qui firent sa renommée. De Flandres elle commanda près de 200 000 peaux afin de se faire fabriquer des gants. Les guildes de parfumeurs-gantiers prirent un tel essor qu’elles finirent même par se scinder vers la fin de son règne. Elle en donna à quelques uns de ses amants et, fait plus étrange, elle fit de son astrologue personnel et grand ami le Docteur John Dee, le « Gardien des Gants ».

 

Gloriana était avide de jouvence et aussi de symboles tout autant que Dee. Celui-ci était l’un des esprits les plus affûtés de son temps – condamné pour sorcellerie et pratiques occultes par Marie Ière, il trouva grâce auprès d’Elisabeth qui venait le consulter avant tout grand événement de sa vie. Tous deux partageaient un amour véritable et profond de l’alchimie et des arcanes secrètes du monde. Elisabeth fit même installer en ses quartiers du matériel alchimique : alambics, athanors et autres potions et c’est John Dee qui lui aurait prédit sa virginité et sa victoire à Gravelines contre l’Invincible Armada lancée par le roi d’Espagne.

 

C’est cet amour des symboles qui contribua à forger le personnage que l’on connaît aujourd’hui – jusque dans sa devise –toujours égale- jusque dans ses portraits, jusqu’à chacune de ses apparences et à la couleur des ses robes que nous transmettent ses lois somptuaires, chaque moment de la vie d’Elisabeth s’est trouvé rythmé par une recherche esthétique et symbolique, chaque instant public devenant l’occasion de consolider le personnage de Reine Vierge qu’elle avait créé.

 

On peut dès lors se poser réellement la question de son parfum. En découvrant les portraits de la fin de son règne, on y découvre toujours un langage ésotérique : lorsque sa robe est couverte de roses, est-ce par esthétisme, en référence à la rose des Tudor ou est-ce un clin d’œil à la Vierge Marie dont dérivait son personnage ? Et lorsque l’on découvre enfin que ses gants se trouvaient être parfumés d’une huile de « jassemin, d’ambregris, de cèdre, de storax, de musc, de civette, de girofle, de cannelle, de rose, de lis blanc » est-ce par superfluité ou y-a-t-il un secret à trouver ? De même lorsqu’elle demande à être représentée en portant une robe brodée de pâquerettes, symbole encore de virginité et de maternité, faut-il y voir un simple hommage aux campagnes anglaises ou plutôt y chercher un message ?

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 Ce dont nous sommes certain, c’est que la Reine Vierge était consciente de la portée symbolique de chacun de ses gestes. Aussi la rose que l’on retrouve dans chacun de ses parfums est-elle à la fois symbole de la dynastie qu’elle a le mieux incarnée et qu’elle finira par enterrer mais aussi de la virginité de la mère du Christ. Ainsi faisant, Elisabeth se place au-dessus du commun des mortels ; Gloriana dépasse les passions humaines, les colères et les désirs, et veille impassible sur le bien-être de son pays.

 

Le lis blanc, les pâquerettes, le « jassemin » vont tous dans le sens de cette virginité assumée pour sa nation. Le parfum de la Reine se fait pictural, il transparait dans ses tableaux afin d’évoquer à ceux qui sont loin d’elle la réalité de sa transfiguration. Par le lis et par la rose elle quitte le royaume terrestre, par l’ambregris et par le musc elle rejoint celui céleste. Avec l’aide de son astrologue, sans doute la Reine a-t-elle étudié la puissance symbolique de chacune des plantes et créatures qui apparaîtront dans ses portraits de fin de règne : le phénix, le paon, les pâquerettes, les roses et bien d’autres encore.

 

Elisabeth I est la première à avoir convoqué l’inconscient collectif d’un pays, son fond sourdant de traditions, afin de tracer les contours et de consolider l’esquisse d’un personnage fantastique : Gloriana est la Faërie Queene de Spenser, c’est à dire la Reine des Fées, c’est à dire la Reine des Cieux. Victorieuse contre toute attente, Reine même contre l’adversité, Elisabeth a associé sa victoire à chacune de ses extravagances : de la couleur de ses robes à celle de ses fards, tout devient objet du culte de sa gloire.

 

Pour autant savait-elle que cette gloire n’était pas sienne et prenant soin de se garder de tout orgueil, elle préféra confier l’oeuvre de ses mains à son astrologue, livrant sa confiance aux astres et ainsi à Dieu ou plutôt à un Dieu qu’elle vénérait autant qu’elle craignait, à ce Dieu qu’elle célébrait tandis qu’il l’attaquait, tandis qu’il la confortait dans sa victoire. 

 

Semper Eadem, c’est-à-dire toujours égale car l’œuvre entière de Gloriana par son apparence comme ses parfums aura été de paraître, en ce monde, éternelle. Son parfum est celui des Cieux, son habit est celui du Paradis tandis que sa face couverte d’une poudre blanche rappelle plus celle des Anges que des femmes anglaises…

Mon amant,

Comme mon ombre en plein soleil.

Il me suit en tous temps

Et fuit tandis que je le poursuis.

 

J’ai froid et pourtant sans cesse brûle

Car je ne puis me fuir.

J’aime et pourtant dussé-je haïr,

Et je semble muette tandis que je fulmine.”