Le Nard de Marie-Madeleine

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Mes fous en sens,

 

C’est aujourd’hui à la quête d’une réponse que des siècles de commentateurs n’ont pas trouvée que nous nous attelons. A la suite de notre dernière Critique sur Irrévérent, caractérisé par un accord déroutant d’oud et de lavande, nous avons voulu nous intéresser à ce dernier ingrédient si particulier que nous pensons tous bien connaître. Nous avons surtout voulu l’aborder sous un angle nouveau : celui de la théologie. Ceux de l’histoire, de la littérature, de la cuisine, de l’anthropologie aussi.

 

Car bien oui, la lavande a marqué les cultures et c’est au fil de nombreuses lectures, d’heures de recherches que nous sommes arrivé à la conclusion étonnante : que nard et lavande, dans la Bible ne font qu’un. C’est pourquoi, mes fous en sens, nous allons aujourd’hui découvrir ce qu’était vraiment le Nard de Marie-Madeleine.

 

Comme tout bon film d’archéologie, tout part d’une inscription, dans notre cas ce verset de la Bible : « Marie, ayant pris une livre d'un parfum de nard pur de grand prix, oignit les pieds de Jésus, et elle lui essuya les pieds avec ses cheveux. » Cet épisode émouvant n’aura pas manquer de susciter de nombreuses questions dans le cœur du lecteur : qu’est-ce que le nard et pourquoi en oindre les pieds de Jésus ?

 

Quant à savoir ce qu’est le nard, il faut s’attacher avant tout à son histoire et à les mentions qu’on en peut relever. Dioscoride dans le De Materia Medica fait mention de plusieurs sortes de nard : un nard syrien, un nard indien et un nard celtique. Du nard syrien, il dit qu’il tient ce nom de ce qu’il pousse sur des montagnes du côté de la Syrie –probablement le versant occidental de l’Hindu-Kush- et que son odeur suave est proche du nard de Chypre. Du nard indien, il dit qu’il est plus doux, presque aquatique à cause de ce qu’il pousse dans le bassin du Gange. Du nard celtique enfin, il dit qu’il est doux et suave. Il cite encore un nard des montagnes connu des gaulois ou le nard de Chypre. Pline l’Ancien quant à lui parle dans son Histoire Naturelle d’autant de variétés de nards et d’une en particulier dont le parfum suave et le goût agréable le rendent particulièrement cher.

 

La littérature n’est pas en manque. Horace à la dixième Ode du livre deuxième parle notamment d’un « Assyriâque nardo » ou nard d’Assyrie tandis que Pétrone au Banquet de Trimalcion cite une « ampullam nardi », une fiole de nard que l’on ouvrit pour s’en oindre le nez à la fin du banquet. Connaissant l’odeur particulièrement âcre du nard, on peut s’étonner d’en lire autant d’éloges et surtout de voir des Romains s’en oindre les narines au sortir d’un repas. Pourtant, on retrouve la même mention de nard dans l’Apicius, un livre de cuisine romaine. On y lit que pour rafraîchir certain bouillon à la mauvaise odeur, il est bon d’y ajouter… du nard.

 

Cette dernière mention du nard dans un livre de cuisine nous convainc qu’il s’agirait plutôt de lavande mais alors comment les Romains auraient-ils confondu l’une et l’autre ?

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Il faut revenir aux origines. Le nard prend alors son nom de la ville assyrienne de Nuhadra –aujourd’hui Dohuk en Irak- au bord du Tigre. Ville probablement connue pour son commerce de parfums, on peut supposer qu’elle sera le point de départ du commerce de nard de l’Himalaya mais le nard en lui-même remonte bien avant les Romains. On le cite déjà dans la recette pour l’huile d’onction des rois Parthes, on le lit aussi dans l’Anabase d’Arrien qui, racontant la traversée du désert de Gadrosie, parle d’une racine de nard qui exhalait un doux parfum quand les soldats la piétinaient. On sait depuis que ce nard n’est pas le nard de l’Himalaya mais serait en fait…de la citronnelle.

 

On peut supposer que la fraîcheur de la citronnelle assyrienne rappela aux Romains celle, plus propre, de la lavande aspic.

 

Il faut aussi se pencher sur la tradition des églises orientales. Celle-ci, ininterrompue depuis les premiers siècles, nomme la lavande « nard ». Ainsi les encens et parfums d’onction au nard sentent-ils la lavande et non pas le nard de l’Himalaya. C’est partant de cet étrange constat que nard n’est pas nard que nous avons désiré d’autant plus nous interroger sur la signification de cette onction de Marie-Madeleine.

 

Il faut revenir au texte. Saint Jean écrit : « nardou pistikes » ce qui signifie : « nard pur ». Certains l’ont traduit par nard « véritable » pour le différencier du faux nard –la lavande- pourtant, nous croyons que ce mot « pistikes » n’a pas grand chose à voir avec la botanique. La Peshitta, traduction syriaque des Évangiles, traduit en effet ce passage par « dnardeen reeshaya ». Reeshaya signifie ici « meilleur », de grande qualité. La symbolique va encore plus loin lorsqu’en Marc, la Peshitta traduit «un parfum de nard pur de grand prix; et ayant rompu le vase, elle [le] répandit sur la tête de Jésus. » par « dnardeen reeshaya (…)al reesheh dyeshoo » jeu de mots signifiant grossièrement : elle versa le meilleur sur le meilleur.

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Mais alors pourquoi le nard, justement ? Ou plutôt, pourquoi la lavande ?

 

On tient pour acquis que la myrrhe est effectivement signe de mort. Il aurait donc été judicieux que Marie-Madeleine eût versé une fiole de myrrhe sur les pieds de Jésus, signifiant de façon éloquente son ensevelissement prochain. Or, Marie-Madeleine accomplit là un geste prophétique qui nous renseigne sur le sens secret de la lavande.

 

Nous avons lu comment les Anciens confondaient lavande et nard. Il nous faut préciser que cette confusion vient notamment de ce qu’on parlait de lavande aspic et de spic-nard. La première tenait son nom de sa ressemblance à l’épi de blé, la deuxième à la façon dont les racines irradient de sa tige. Et c’est bien sur cette première ressemblance qu’il nous faut nous arrêter car là se trouve la clef de compréhension et de résolution de cette controverse millénaire.

 

Marie-Madeleine, en versant de la lavande aspic sur les pieds du Christ, accomplit un geste prophétique qui annonce la Passion et la Résurrection. Aux côtés de Saint Jean le Théologien –qui reposera sa tête sur le cœur du Christ au moment de la Cène, annonçant symboliquement la théosis-  et de la Vierge Marie –qui détournera son regard du Christ au moment de la Nativité, annonçant ainsi la Passion- Marie de Magdala annonce la Passion et la Résurrection. En versant le meilleur sur le meilleur, c’est l’huile du meilleur épi qu’elle verse sur celui qui se comparait à l’épi de blé.  Ce geste fait directement référence aux paroles de Jésus qui dit : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt il reste seul mais s’il meurt il portera du fruit. »

 

L’onction des pieds dans l’Evangile de Jean est une annonce de l’onction des myrrhophores et de la mise au tombeau tandis que l’onction de la tête dans Saint Marc est l’annonce de la Résurrection et du Saint Esprit brillant sur le Christ comme une couronne de gloire inextinguible.

 

Ce qu’il faut en comprendre, c’est que la lavande est semblable à la lumière qui symboliquement nimba le Christ dans sa descente aux Enfers. Les traditions médiévales nombreuses associeront d’ailleurs à cette plante la vertu d’éloigner le mal et les mauvais esprits. La lavande est cette fleur de vie qui fortifie le cœur de l’homme, c’est le parfum qu’il sent au sortir d’un banquet en disant : « J'espère en éprouver, quand je ne serai plus, autant de plaisir que de mon vivant. ». C’est la fleur des clairvoyants, de ceux qui voient au-delà des apparences, au-delà des simples plans de la vie.

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 La fleur de ceux et celles qui sortent et veulent sortir victorieux de la mort. La fleur des soldats qui traversent le désert, la fleur des rois et des reines, la fleur chassant le mal, la tristesse et la mort – de l’âme.

 

Bien plus que l’encens, la lavande avec ses reflets violets et bleus, est la fleur excellente qui nous relie aux dimensions volatiles. Qui s’imprégne à notre âme et dit à tous et à nous les premiers que l’Amour a vaincu la mort.

 

Nard et Amour m’accompagnent,

Tous les jours de ma vie.