Castoréum : entre vice et vertu

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Mes fous en sens,

 

Notre dernière Critique portait sur une création sur-mesure d’AbdesSalaam Attar, un parfum bâti sur un accord d’encens, de castoréum et de fève tonka du nom de Consolamini, le parfum des consolations. Continuant sur la lignée tracée par nos précédents articles, nous avons voulu creuser, chercher, comprendre l’histoire d’une matière des plus intrigantes parce que très peu mentionnée dans les formules anciennes : le castoréum.

 

Parmi toutes les matières animales, c’est peut-être celle que l’on retrouve le moins dans les anciennes formules de parfums et d’encens, éclipsée par l’ambregris, le musc ou la civette. Pourtant, le castoréum porte une lourde charge symbolique. Tantôt aphrodisiaque, tantôt narcotique, cette matière parmi les plus énigmatiques et pourtant plus vulgaires n’a pas cessé de nous interpeller.

 

C’est pourquoi je vous invite à explorer ensemble le mythe du Castoréum : Entre Vice et Vertu.

 

Cherchez le castor, vous aurez le castoréum…mais d’où vient justement le mot castor ? Nous l’héritons du grec ancien Κάστωρ, kastor – qui donnera plus tard le sanskrit kasturi, musc – pourtant on se pose toujours la question de son étymologie et donc de son sens. Si l’on reconnaît le suffixe –tor, les linguistes hésitent au sujet de la racine. L’hypothèse la plus crédible voudrait qu’elle fût « kad », c’est-à-dire briller en grec ancien, kas-tor voulant donc dire : celui qui brille, potentiellement en référence au pelage brillant du rongeur… ou à une étoile.

 

On ne peut en effet évoquer un castor brillant sans parler du plus célèbre d’entre eux, l’un des Dioscures : Castor et Pollux. Ces deux jumeaux ont prêté leur nom à la constellation des Gémeaux et si Pollux nous vient aussi du grec ancien où il signifie « le Très-Doux » on se demande pourquoi Castor signifierait « Le Brillant » dans la mesure où son tempérament était plus mesuré que celui de son frère. Et qui du castor ou de Castor fut le premier nommé ? Et quel rapport entre étoile et castor, entre lumière et castoréum ?

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Un élément de réponse nous fait dévier du sens à l’us car les Grecs rendaient un culte aux Dioscures, non en tant qu’étoiles mais en tant que protecteurs or on connaissait déjà les propriétés curatives du castoréum. Castor, le protecteur, est la sécrétion qui protège, qui soigne, qui guérit. Les traités de pharmacopée médiévaux verront d’ailleurs fleurir des recettes faisant mention du fameux castoréum pour venir à bout de migraines ou de rages de dent.

 

Une autre théorie plane pourtant quant au sens du mot castor. Celle-ci s’arrête au latin castor et le fait non pas descendre du grec kastor mais du latin castro, signifiant trancher, amputer, émonder. Cela fait référence à la croyance populaire déjà présente chez les Grecs et les Romains –chez Pline l’Ancien notamment- selon laquelle le castor, se sachant chassé pour ses glandes, se châtrerait volontairement afin que les veneurs cessent de le poursuivre.

 

C’est cette thèse qui inspirera les bestiaires nombreux au Moyen Âge qui verront dans cette histoire une allégorie de l’Homme luttant contre le Démon. Il fallait ainsi, pour que l’Homme fût libre, qu’il consentît à se châtrer, à retrancher ses vices, à se libérer du péché afin que le Démon ne puisse avoir d’emprise sur lui ni d’occasion de l’accuser.

 

C’est cette thèse toujours qui inspirera Léonard de Vinci, écrivant ainsi dans ses carnets de note que le castor est une allégorie de la Paix. La Paix, celle qu’il obtient en offrant son parfum en rançon pour sa vie, celle qu’il obtient en émondant de sa vie, les vices et les plaisirs de la chair.

 

Peu de recettes peuvent nous renseigner sur les usages symboliques ou allégoriques du castoréum, hélas.

 

Nous le voyons protecteur et pacificateur, nous le voyons tant signe du péché que signe de la paix ; du désir et de la chasteté. Le castoréum est tout et son contraire.

 

Nos recherches nous ont conduit à examiner un manuscrit assez particulier, la Picatrix, un traité de magie et d’astrologie probablement andalou datant du début du Moyen-Âge. L’auteur y liste tout un chapelet de formules diverses et fait une seule fois mention de castoréum dans un chapitre dédié aux rituels astraux eux-mêmes hérités d’une tradition bouddhiste ! L’énigmatique glande sert à la fabrication d’un encens à Mercure, associée à l’ambre et au nard, deux matières que l’on retrouve d’ordinaire dans des rituels à Mars !

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 Mercure est le messager ; Mars le guerrier. Mercure dans la tradition juive –que connaissaient les Andalous- est liée à la sephira Hod -la gloire, la majesté, l’élévation spirituelle ; Mars est la sephira Geburah, la sévérité, la justice mais aussi le retranchement.

 

Qu’y a-t-il alors à comprendre ?

 

Que de même qu’il ne peut y avoir de Castor sans Pollux, le castoréum est une puissance dynamique. De même que l’ambregris –que nous avons déjà étudié ici ou le musc ici- le castoréum, à l’instar de toutes les matières animales, permet un retournement en soi-même.

 

Il est le chemin de Mars en Mercure, du vice à la vertu. Derrière ses notes de cuir et de tabac se cache un cœur de vanille et de fruits mûrs. Il est le signe, oui, le signe de la paix de De Vinci, de la paix d’une gloire non retrouvée mais assumée. Le castoréum effraie en ce qu’il appelle à un sacrifice.

 

C’est le vieil homme qui se décolle de l’ancien. Ce n’est pas anodin que le castoréum n’apparaisse jamais dans des formules aphrodisiaques – il est le retranchement des passions qui permet d’atteindre l’ataraxie, chez les Grecs ou l’apaisement d’icelles permettant la théosis, la contemplation de la lumière incréée, chez les Pères du Désert

 

Le castoréum suppose la force de Pollux, son courage de couper, de retrancher, d’émonder et d’amender –comme le dit bien l’antienne quadragésimale Emendemus in Melius-  ses voies pour marcher vers cette paix bienheureuse, chaleureuse.

 

Aussi, ceux qui portent le castoréum rayonnent-ils d’une puissance apaisée parce qu’assurée, parce qu’éprouvée comme le fer au feu. Parfum de l’éloquence parce que lié à Mercure, le messager des Dieux ; parfum de la force parce que lié à Mars, le Guerrier puissant. Parfum du charisme enfin, de l’union paisible entre Castor et Pollux.

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Parfum protecteur, le castoréum l’est en ce qu’il est celui de la vigilance et de l’expérience au combat. C’est le castor qui jetant au loin ses glandes s’évite la mort et se terre dans la demeure qu’il a bâtie de ses mains se faisant ainsi l’allégorie de l’homme qui, jetant au loin ses vices, évite le marrissement de son âme et s’isole à l’abri des tentations du « loup mystique ravisseur »

 

C’est le parfum de Castor, celui qui brille, et de Pollux, le Très-Doux.

 

Halo orangé des anges gardiens, le castoréum en rendant stérile au péché rend fertile à la grâce ; en tuant le vice il donne à vivre la vertu.

  

Après la mort, la vie ;

Et le péché,

La paix.