Consolez-moi

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Consolamini


par AbdesSalaam Attar

pour Les Perfume Chronicles


Minuit sonne aux cloches de l'Aventin. La nuit couvre de son manteau les pourpres ruines de la Ville Eternelle et tu avances parmi elles comme errant entre les morts. Déjà le jour baisse et loin des angoisses nocturnes, tu pèlerines d'église en église, de concert en concert, marchant dessous les arches du Panthéon et à l'ombre du style de Trajan.

 

La nuit est lourde et sera blanche.

 

Valise en main, tu remontes les rues muettes à la recherche d'un café, d'un peu de lumière et de chaleur humaine. Les artères se vident, sillons inertes percés entre les fontaines et les palais endormis. Tu remontes, valise en main, vers la gare - insouciant. Les places se font plus grises, les ruelles plus sombres et le nombre de touristes a diminué maintenant. Te voilà seul. Seul sans abri, exposé à la houle invisible des vents romains ne portant nul parfum que celui, froid, de l'asphalte la nuit.

 

La gare. De venelle en venelle elle t'appelle, murmure ton nom, elle t'apparait refuge ; elle sera guet-apens. Car tandis que tu l'arpentes, cette sombre ruelle, deux gaillards t'approchent l'air grand et menaçant. Tu fais mine de ne les pas voir, tu avances la tête vissée dans un ciel sans étoiles - ils te suivent et t'appellent d'une voix qui te crie : Va t'en. Mais toi, toi, du fond de ton coeur s'élève une parole, un élan de chaleur qui te dit : Ne les juge pas. Ne les enferme pas. Ouvre ton coeur…

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Tu te retournes. Ils s'approchent, les voici près de toi. Quelques mots échangés et voilà qu'ils t'escortent vers un petit café. Tu avances, encadré et les rues sans lumière laissent place à d'autres sans espoir. Tu comprends. Tu ne dis rien. Tu espères encore quand la pointe d'un couteau te caresse le flanc - tu te retournes et tu lis dans ces yeux la détresse et la mort. Ton coeur s'emballe, tes pupilles se dilatent et de ton âme sort un râle, un cri d'appel à ton ange gardien. Sueur au front, tu balbuties :

 

“Je n'ai rien. Que de quoi vous payer un café”

           

Le temps s'arrête, suspendu à l'esprit de ces deux grands bandits. En leur œil, tu le lis, un mélange de haine, de souffrance et d'ennui. La lame pressée contre ton flanc s'enflamme, ce qui était une seconde t'a semblé le résumé d'une vie - il agite le bras sans sourciller, ton souffle est coupé… la lame est rangée.

 

“Ok.”

 

Veille mon ange sur tes enfants imprudents. S'ouvre alors une nuit que seule Rome peut enfanter, à boire des cafés au milieu de truands, de jeunes désoeuvrés qui détroussent les manants au sortir de la gare. Qui sont-ils tous ces jeunes ? Qui, leur mère ? Quelle, leur vie ? Quand les uns se séduisent, tu veux savoir d'où ils viennent. Elle de Naples, lui de Pérouse et eux de tous les coins de l'Italie. C'est la vie qui les a menés ici - cette vie incompréhensible et son lot d'épreuves sibyllines. Tu comprends que ces jeunes n'ont pas réussi l'ordalie et tandis que la nuit baisse, l'un et l'autre, à toi, se confient.

 

“Ne les juge pas”

 

Ils ont un cœur comme le tien qui souffre comme le tien et rêve d'amour, comme le tien. S'ils peuvent encore rêver… Le jour alors approche cependant que tu t'apprêtes à les quitter et d'un élan, d'un seul, les voilà de nouveau à t'escorter – heureusement, cette fois - jusqu'au Mont de la Trinité d'où tu pourras contempler le soleil se lever. Un soleil ocre sur les toits de Rome, le drapeau maltais au vent et au loin cet horizon peuplé de clochers hérissés comme autant de mâts de misaine. L’air est frais, il se lève de la Villa toute proche et porte jusqu’à toi la fraîche humidité de la rosée qu’il protège.

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Consolamini, oeuvre exclusive d’Abdessalaam Attar pour The Perfume Chronicles a été créée à partir de ce souvenir – et d’une grande dose de hasard. La maestria légendaire de son créateur se révèle dans la simplicité d’un accord de castoréum, d’encens et de fève tonka. C’est un parfum où la chaleur du castoréum rejoint la rondeur des coumarines, où le cuir du tonka patine l’animalité amère d’un mastic de Chios.

 

Créature à mi-chemin entre un Pégase et un Séraphin, Consolamini semble en perpétuel mouvement. C’est un vitrail où perce la lumière d’un Soleil toujours égal aux couleurs toujours nouvelles. Il a l’ardeur de la terre de Judée et la chaleur de ses caravansérails ; c’est la nuée d’encens qui recouvre Isaïe tandis que sur ses lèvres brûle un charbon ardent.

 

Exercice d’équilibriste, il oscille à merveille entre la rondeur et la sécheresse, entre l’âprêté et la gourmandise sans jamais verser dans l’un ou l’autre. Consolamini est la mise en bouteille de cette parole tirée d’Isaïe : “Consolez mon peuple”. Ses résines anciennes comme un trait de lumière pure traversent l’âme pour la nettoyer : c’est la flamme qui épure l’argent mais aussi la flamme de l’amour qui vient nous réchauffer.

 

Car Consolamini sert bien à cela : parfum spirituel, il nous donne de voir au-delà des apparences, d’ouvrir notre coeur à celui souffrant de nos frères afin qu’ils y versent le flot de leurs larmes. Consolamini est la clef de notre cloître intérieur, la clef des chambres secrètes de nos coeurs.

 

Abdessalaam Attar prouve une fois de plus sa profonde connaissance des matières premières et son talent pour les laisser s’exprimer. Consolamini est une gemme, un parfum que ne peuvent seuls porter ceux qui ont le courage d’ouvrir leur coeur,

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De faire silence.

D’écouter.

 

Et d’aimer.